Cronos cannibale ou l’échappée du réel dans le mythe et dans les arts
Claire Caland est chercheure en littérature et en mythologie comparées. Spécialiste des mythologies et des épopées qui ont nourri l’imaginaire occidental, elle en étudie plus particulièrement leurs résonances actuelles. Elle a publié neuf livres, dont un essai sur le processus d’ensauvagement symbolique (En Diabolie, les fondements de la barbarie contemporaine, VLB, 2008), une étude politique et esthétique sur les monstres mythiques (Zoofolies, Varia, 2015) et un essai sur le ré-enchantement du monde dans l’art actuel (Cinq fabricants d’univers avec Émilie Granjon, Varia, 2017). Sa première monographie, Miroirs, métamorphose et temps inversé sur l’artiste Véronique La Perrière M. (avec Émilie Granjon, Sagamie) date de 2020. En plus d’avoir co-édité deux ouvrages collectifs, Claire Caland a publié une centaine d’articles scientifiques. Elle collabore régulièrement à la revue d’art actuel Vie des arts.
Bon appétit ! « I’m a menu » chante en 2017 la populaire Katy Perry en réinventant gastronomie française et langage amoureux dans un clip vidéo hilarant, conçu par la franco-montréalaise Dent de cuir. Bon appétit en effet : depuis plus de vingt ans, la figure cannibale se lèche les babines sur grand écran, à la télévision, dans les jeux vidéo ou sur les réseaux sociaux. Les récents succès du documentaire sur Jeffrey Dahmer, tueur en série cannibale (Netflix), et de la série Yellowjackets (HBO) sur la survie en terre hostile, les variations sérielles venues de toutes parts (Brésil, Corée, Belgique…) sur le zombie croqueur d’humains, prouvent une fois encore que le cannibalisme suscite une grande fascination dans l’imaginaire populaire.
Mais qui est en cuisine à mijoter le ragoût ? D’où vient la recette ? Le cannibale a été mis en images et en mots dès les mythes grecs, avant même l’invention du terme « cannibale » à la fin du XVe siècle, dans la foulée des aventures de Christophe Colomb en Amérique. Les Grecs disposaient déjà d’un vocabulaire précis pour désigner un ensemble de pratiques réelles ou fantasmées : l’allélophagie (se nourrir de la même espèce), l’anthropophagie (se nourrir de chair humaine), l’hématophagie (se nourrir de sang) et l’homophagie (se nourrir de chair crue). De tels actes sont liés au rituel, au sacrifice et, inévitablement, à des jeux et enjeux de pouvoir. Quant au repas anthropophage à proprement parler, il est rejeté loin dans l’espace, aux confins du monde, et dans le temps, in illo tempore. C’est à ce point non pas originel mais original que se trouvent les soubassements théoriques de la présente réflexion. Une image centrale et obsessionnelle en découle : Cronos, divinité primordiale, incarnerait l’allélophagie, conséquence effroyable d’une malédiction.
Il faut en revenir à la théogonie contée par le poète Hésiode. Après avoir détrôné son père Ouranos et avoir été maudit, le Titan Cronos dévore ses enfants un à un, jusqu’à la rébellion de l’un de ses rejetons sauvé par Rhéa, mère/épouse épuisée et en désaccord. Cette image originale d’avalement primordial sera injectée dans maints récits mythiques avec ragoûts d’enfants et malédictions, du Festin de Tantale au mythe de Philomène et Procnée, mais aussi dans les contes de fées à grand renfort d’ogres et de quelques ogresses mémorables, du Petit poucet à Hansel et Gretel, en passant par Ma mère m’a tué, mon père m’a mangé. Il y a toujours un risque à convoiter la chair d’autrui, à vouloir l’absorber, à croire manger un ou une autre pour en définitive manger le même : de tout temps, la fiction cannibale est là pour nous le rappeler. C’est pourquoi il était indispensable d’entendre une voix d’antan plus récitante que pleureuse. Celle de ma grand-mère Germaine, en l’occurrence. Sortie du trou de l’oubli pour ce dossier, elle nous raconte une variante du conte « Ma mère m’a tué et mon père m’a mangé » du centre de la France, le Limousin, d’après la Première Guerre mondiale.
Cette voix ancienne s’ajoute à celle des collaborateurs et des collaboratrices du dossier « Cronos et autres cannibales » que j’ai eu le plaisir de codiriger avec Marie-Hélène Larochelle. Elles s’aventurent à appréhender un motif tabou par le biais de la fiction et de l’essai. La plupart des contributions explorent de récentes déclinaisons de Cronos dévorant ses enfants concurrents en se focalisant sur la résolution d’une aporie : ce qui se dégage comme une « esthétique cannibale » tous crocs sortis et virilité affirmée semble irrémédiablement s’opposer à la féminité et à la maternité qu’incarnent Rhéa, puis tous ses avatars. Le cannibalisme au féminin s’envisagerait dès lors comme une forme unique de la criminalité et un crime contre-nature. À ce sujet, que nous dit la prise de pouvoir féministe dans l’acte créatif ?
Cette question traverse un certain nombre de textes du présent dossier et explique le choix de l’œuvre en frontispice : L’Ouroboros (2009) de l’artiste plasticienne Shary Boyle. Si cette figurine en porcelaine séduit d’emblée en évoquant l’art décoratif hérité des grandes manufactures de Meissen, elle avoue rapidement son statut d’œuvre d’art en nous déstabilisant par son effet kitsch. Boyle choisit de détourner la symbolique des figurines de Saxe au profit d’un discours féministe : une série de têtes identiques relie le haut et le bas d’un corps féminin couché, en position d’abandon sexuel. Cet emboîtement de têtes provoque la sensation d’un plan séquence, introduisant un mouvement inattendu à résonance mythique, à savoir le serpent qui se mord la queue en signe du cycle éternel du temps et de la nature. Ceci étant dit, la duplication des têtes en sorte d’hybride monstrueux induit métaphoriquement la perte symbolique entraînée par une production industrielle. Que duplique-t-on sinon, d’après Boyle, l’idéal féminin issu de fantasmes masculins ? L’esthétique ornementale d’Ouroboros renferme donc sous son glacis lumineux une mise à mal de stéréotypes, une dimension critique évidente de la part d’une artiste féministe militante. Que la jeune femme représentée ait le visage taché de son, une chevelure opulente d’un roux flamboyant, le confirme : c’est une couleur longtemps associée au diable et au mal. L’idéal féminin se heurte alors à une diabolisation certaine. À l’ouroboros se joint de plus un imaginaire cannibale complexe : une bouche dentée mord l’œil de cette métaphore du féminin, tandis que l’une des têtes enfouies dans les parties intimes de la jeune femme rappelle le vagina dentata. L’idéal de la femme renverrait à nos peurs primales.
À la lumière des différentes contributions scientifiques, trois pistes réflexives se dégagent pour cerner le cannibalisme fantasmé tel qu’exprimé par Boyle : comment figurer l’acte cannibale dans la création artistique ; comment dire les pulsions défendues ; comment exprimer la dévoration amoureuse, métaphore essentielle au « manger cannibale » ? On pourra s’en souvenir au moment d’aborder les textes de création (conte, poésie, dessins, photofiction ou encore essai parodique) avec en tête cette volonté de nos collaborateurs et de nos collaboratrices de saisir les nouvelles postures cannibalistiques qui éclairent le monde actuel.
Crime cannibale, entre enjeu politique et esthétique
Partons d’une hypothèse qui semble faire consensus : le cannibalisme est inconcevable et l’acte, une monstruosité que la culture rejette du côté de la nature. Cette monstruosité serait liée, d’une part, au désordre, voire au chaos (les barbares pour les Grecs), et, d’autre part, à l’immonde (dans sa dimension morale, attachée ou non à une religion précise). C’est un tabou fondamental que nous partagerions tous et toutes, indépendamment de notre culture. Seules les conditions de réception de la monstruosité peuvent varier selon les sociétés. Que toute société se définisse elle-même « comme mère ou fille de la civilisation » et rejette « le barbare de l’autre côté d’une frontière symbolique » induit que, hormis quelques rares exemples, on s’accorderait tous et toutes sur le rejet de l’innommable. C’est par ce bornage rassurant que l’on peut critiquer une société qui va mal, une démocratie souffrante, comme le fait Diane Bracco. En partant d’une étude de La Conseillère anthropophage, elle explique en quoi ce court-métrage de Pedro Almodóvar s’inscrit contre l’héritage de la dictature et de la classe politique en Espagne.
En quittant l’Espagne pour la Chine, le curseur de l’inacceptable est poussé plus loin, ainsi que le démontre l’étude comparée du roman de l’autrice sino-canadienne Ying Chen et d’une nouvelle de l’auteur chinois Lu Xun par Jingyun Song. Le concept de « manger l’homme » de Lu Xun, relié à la négation de la liberté individuelle et à la privation du droit à la vie, sert à comprendre comment une société, par le biais du confucianisme, a pu imposer l’acte cannibale à l’ensemble de sa population comme métaphore de la servilité familiale et politique. De même, l’entretien avec Agnès A. Motisi-Nagy, historienne spécialiste des religions de la Méditerranée, qui clôt le dossier, permet de saisir ces liens entre le politique et le cannibalisme par le biais d’interdictions, de menaces contre l’autre que l’on ostracise pour mieux le contraindre et le vaincre. La lecture critique d’histoires de cannibales s’étend sur un millénaire, de la Grèce à la Rome antique, de la Mésopotamie à Israël. Ces histoires échouent dans les textes polythéistes et monothéistes qui ont formé l’Occident. Une telle trajectoire conduit Agnès A. Motisi-Nagy à de passionnantes conclusions : certes, les pouvoirs en place condamnent l’acte cannibale mais plus encore, ils s’en servent pour stigmatiser l’ennemi (qui s’adonnerait à l’anthropophagie). Ce dernier appartient à une horde barbare, tels les premiers Chrétiens et les Juifs accusés vers la fin du IIe siècle par les Romains ou encore, les communautés israélites du Moyen Âge. L’historiographie nous apprend que, depuis la Mésopotamie, l’anthropophagie a vocation d’épouvantail, conséquence ultime des sièges militaires de longue durée : aux assiégés de se rendre s’ils ne veulent pas s’entre-dévorer. Une telle logique s’ancre dans un terrible renversement de la chronologie : les pères, et aussi les mères, mangeraient les enfants, plus faibles, incapables de se défendre. L’horreur absolue, donc, mais fantasmée de manière criminelle avec en contrepoint la bonne éthique : « Ici la nécessité ne peut servir d’excuse : quelle nécessité de vivre à ce prix, quand on est libre de mourir ? », écrit Valère Maxime.
Sur ce point de fracture des règles établies, les folies du marquis de Sade mettent le crime à l’honneur dans un mouvement qui se réclame de l’esthétique et s’érige contre toute forme de contrainte sociale ou politique. Frédéric Mazières démontre dans son essai que, chez Sade, le fantasme cannibale se lie avec celui de l’absorption sacrée selon lequel le guerrier se nourrit de la chair et du sang de l’autre pour le vider de sa substance, prendre son énergie vitale, l’affaiblir, voire l’annihiler pour se fortifier lui-même. Enfin, pour accéder au jouir. Autre chose se joue aussi au cœur de cette fantasmatique cannibalique du jouir de la dévoration, de la gloutonnerie : l’humour par l’excès, avec un je-ne-sais-quoi d’un Rabelais pervers. Relire Les Cent vingt journées de Sodome de Sade permet d’éviter le piège qui nous guette à monter un tel dossier : Cronos ne doit pas s’envisager de manière monolithique. Nous revient ainsi en mémoire l’adaptation par Alfred Hitchcock de Rebecca, roman de Daphné Du Maurier. Si, chez Du Maurier, le mari est coupable du meurtre de la première épouse, le cinéma hollywoodien du début des années 1940, contraint par la censure, fit tout pour le rendre « acceptable ». Par conséquent, l’on nettoie le sang, modifie l’angle d’approche pour en atténuer la violence, et le génie de Hitchcock transforme la contrainte en atout, multiplie les effets d’ombre, ajoute la musique – capitale – pour minimiser l’acte criminel. Chez Sade, point de tabou, de censure, au contraire. Toutefois, la présence du comique pervers dans le jouir délirant revient à une (saine) mise à distance, nous rappelle Mazières, grâce à ces outrances fantasmatiques prégénitales qui peuvent atteindre le « sublime pervers ».
Enfermé à la Bastille, délirant sur sur Cent vingt journées de Sodome, Sade était dans l’urgence de sauver sa peau. Or, dans les situations extrêmes de survie, le cannibalisme apparaît comme l’ultime solution pour rester en vie. L’histoire des survivants de La Méduse nous l’a appris. Peut-on néanmoins fictionnaliser sans outrance l’événement traumatique ? Doit-on réduire le champ d’action de la création à l’excès ou à l’enflure contre le documentaire ? S’engouffrer dans la faille politique peut être une des manières d’offrir une nouvelle diction en abordant le « cannibalisme de survie », comme le fait Bertrand Rouby avec l’auteur Nathaniel Philbrick, afin d’établir un lien entre capitalisme et cannibalisme. Ici, l’on apprend quelles stratégies d’atténuation sont mises en jeu par l’écriture : des cadres qui inscrivent le cannibalisme dans des codes et une édulcoration du réel par la fiction. En découlent l’usage de l’ellipse (à l’inverse de Sade) et de l’éclipse (où le réel se fictionnalise). Dans ce dernier cas, le recours à l’intertextualité est une possibilité, ainsi que le recours au fantastique. Est-il besoin de rappeler que le fantastique est né d’une césure du politique et du religieux dans l’histoire de la littérature ? La dimension fantastique pose la crudité de l’incertitude contre toute certitude religieuse. Le fantastique, puisqu’il ne cesse de poser un regard interrogatif sur le monde et notre relation aux autres, est éminemment politique.
L’article de Bianca Laliberté, consacré au « savoir-voir » dans deux tableaux de Goya, Cannibales montrant des restes humains et Cannibales préparant leurs victimes,sert de contrepoint pictural aux récits étudiés par Mazières et Rouby. Le tableau Cannibales montrant des restes humains n’a rien à voir avec Indians as Cannibals (Brazil) (1664-1666) de Jan Van Kessel, trop près du réel pour avoir droit de cité dans ce réceptacle à fantasmes cannibales qui nous préoccupe. Notre collaboratrice trouve en revanche chez Goya une logique toute picturale, une spécificité qui permet de circonscrire les différentes techniques artistiques : tout en offrant des tableaux qui constituent une forme de rébellion face à la censure inquisitoriale, le peintre révèle la logique interne de l’image picturale. La logique iconophage carnavalesque serait davantage similaire à celle du langage cinématographique de Pedro Almodóvar, d’après la lecture de Diane Bracco dans une étude du grotesque hérité d’une tradition sud-européenne dans laquelle Goya côtoie Dalí et Fellini. Dans un contexte plus contemporain, Coline Fournier étudie dans Grave (2016) de Julia Ducournau un espace scénique où le cannibalisme est exhibé de façon gore dans une escalade qui fait passer l’héroïne Justine du végétarisme assumé à une anthropophagie familiale incontrôlable : digne héritière de la Justine de Sade, elle résiste puis accepte, et sa faim de viande lui fait dévorer le doigt de sa sœur. D’après Marie-Hélène Larochelle, chez Ducournau, la découverte de la sexualité passe aussi par la consommation de l’autre et de soi, dans un geste punk (et désespéré).
Figurer le cannibale, c’est mesurer un écart d’avec le réel, qu’il s’agisse de l’Amérique rêvée en peinture par Goya ou du naufrage de l’Essex. Ce peut être aussi l’écart mesuré à l’aune du mythe, premier filtre pour représenter et (d)écrire le cannibale : que l’on songe seulement au Cyclope Polyphème, le cannibale qu’Ulysse-Personne croise sur sa route dans L’Odyssée d’Homère.
La figure du cyclope Polyphème, le poète Jean-Marc Desgent la travaille dans sa création poétique faite de martèlements et d’explosions : « Je suis percé, troué par la chose qu’on ne dit pas, / c’est un pieu, c’est un sexe héroïque / qui m’entre et la brûlure qui m’en sort ». Ainsi s’ouvre le premier chant de Noir. Son poème inspiré par la figure de Polyphème inaugure la seconde partie de ce dossier, dédiée à la création. Desgent sonde une autre figure classique après celle de Cronos, en explose tout ce qui s’apparente à du convenu. Chercheur d’or, le poète creuse en même temps un sillon de sons à partir de l’image forte du trou (l’œil du Cyclope où s’enfonce le pieu de bois des compagnons d’Ulysse) associée à la couleur noire et au vide de soi face aux autres (l’aveuglement de Polyphème, hurlant que « Personne » l’a attaqué). Si rester en mer comporte son lot de dangers – on ne sait jamais sur quels récifs va échouer Ulysse, le héros aux mille ruses –, la puissance tragique qui ressort de la confrontation du monstre est là où on ne l’attend pas et surgit du fond des temps.
La fascination du trou d’où tout peut surgir crée aussi une esthétique singulière chez Frédéric Weigel. L’artiste nous offre une étonnante réflexion pluridisciplinaire sur le peuple des Koro-pok-guru, sorte de potiers anthropophages qui auraient vécu au Japon, et dont le nom signifie « hommes vivant dans un trou ». Prenant le relais des bergers Cyclopes, cette préhistoire est imagée et imaginée à partir du manga L’attaque des Titans. En croisant techniques et inspirations occidentales et extrême-orientales, Weigel a peint une série de scènes d’une incroyable expressivité où les corps cannibales suintent de bleu et de rouge. Épais et souples, ils se contorsionnent en évoquant l’art des sumos. Ces scènes recèlent une part de mystère par l’insertion de bulles en japonais qui, pour celles et ceux qui ne connaissent pas la langue japonaise, font office de messages cryptés.
Par l’art, le cannibalisme échappe à une vision binaire selon laquelle il serait soit valorisé en tant qu’union créatrice soit, au contraire, dévalué parce qu’anéantissement et refus d’évolution. Entre les deux positions, la perspective se floute, comme dans le récit de Chantal Fortier qui dramatise les processus de survie post-traumatiques. À la lecture de La saignée, où il est question de rituel et de sacrifice, de supplice et de chasse, l’on se repose une question fondamentale : le cannibale sorti du trou est-il homme ou animal ? Selon la réponse apportée, le trophée posé sur la cheminée ne sera pas le même, le rencontre ne provoquera pas les mêmes émotions, et le face à face n’aura pas les mêmes conséquences. Sans cesse en ligne d’horizon, la notion de barbarie est conditionnée à l’appel du miroir grossissant et déformant d’un réel inacceptable. Quant à la figure cannibale, elle est en soi un portail d’accès aux confins les plus sombres de l’humain.
Contre-champs et hors-scène
Une fois hors-scène, comme au théâtre ou dans certains récits hors des sentiers battus, ce n’est pas tant l’action que la parole qui prédomine. On s’écarte du voir en action, l’enchaînement de l’agir conditionnant l’art cinématographique. Cette leçon magistrale, Alfred Hitchcock l’a donnée à François Truffaut au début des années 1960 : le cinéma muet montre (les monstres) ; l’avènement du parlant l’a rendu volubile, verbeux, anti-cinématographique. En en revenant à la photographie – essentielle au cinéma – qui saisit une ombre déformée, l’emplit de mystères, Andrea Oberhuber réaffirme l’importance de l’héritage de l’expressionnisme allemand sur le cinéma hitchcockien en particulier, sur le thriller en général. Il s’agit de déplacer, de décentrer le cannibale impossible à confronter dans la spirale de l’angoisse scopique. De créer par un jeu d’ombre et de lumière un autoportrait de Géante armée pour tuer le père dévorateur d’enfance. Dans l’imaginaire occidental, la figure de Cronos-bouche d’ombre croise celle de Chronos, avec laquelle elle est parfois confondue, quoique symboliquement opposée. Parce qu’il dévore les siens, Cronos demeure, à l’instar de son père-Ciel avant lui, dans un espace indifférencié et hors du temps (hors de contrôle, aussi), ce qui n’est pas le cas de Chronos, celui par qui s’écoule la vie jusqu’à l’inéluctable fin. Sous le règne de Chronos, maître absolu du temps et donc de l’histoire, s’impose une logique chronologique : père et mère meurent avant leur progéniture (qu’ils sont censés protéger). Dans le présent dossier, si le cannibale Cronos est au premier plan, n’oublions pas pour autant le spectre du temps, Chronos, qui s’agite dans le décor, avec sa ribambelle de figures symboliques issues de l’imaginaire mythique (les fileuses) ou populaire (la faucheuse). Point aveugle, trou noir : la dévoration donnée à voir est abjecte, effroyable, à la fois simple et complexe à appréhender. Il faut ouvrir un dictionnaire, un Larousse médical de 1924 par exemple, relire encore et encore les descriptions de maux aujourd’hui éradiqués, s’imprégner du pouvoir magique des mots et celui, hypnotique, des planches de membres et corps déformés, et se poser avec délectation la question de qui mange qui. Le récit de Marie-Hélène Larochelle s’y emploie en termes réflexifs, où la définition du cannibalisme comme le « manger du même » se mue en « se manger soi » et où le mimétisme du souffrir valide la scarification, la béance humaine étant sa propre source d’interrogations.
Si les réponses apportées par les auteurs et les autrices sont parfois source de surprises, elles caractérisent toujours un contexte social et idéologique, tout en faisant bruisser un arrière-plan plus psychanalytique. S’articule alors une pensée dense et foisonnante à la recherche de stratégies pour dire les pulsions défendues, comme le font la fiction de Larochelle ou celle d’Emma Santos, autrice française qui mêle dans son œuvre textuelle et visuelle une triple dévoration reliée à l’infanticide, à l’amour-passion et à l’entre-soi. Elise Denis commente J’ai tué Emma S. ou l’écriture colonisée de Santos, un récit d’internement avec dessins colorés et textes incisifs qui évoque par moments l’autophagie artaudienne. « On s’énervait jusqu’à désirer le sang de l’autre. On s’est désiré possédé et séparé après dix ans », écrit Santos. Pour son analyse, Denis utilise les outils anthropologiques et psychanalytiques, ce qui lui permet de faire saillir des réminiscences de banquet technophagique et de diasparagmos fantasmés. Elle circonscrit d’autant mieux une œuvre vouée à se dévorer elle-même, tout à sa passion amoureuse retournée comme un gant. Par son étude d’une autrice et artiste femme, notre collaboratrice rappelle aussi combien la question de la dévoration au masculin et au féminin s’invite inévitablement derrière le « qui dévore ». Et l’œuvre santosienne dans laquelle, selon Denis, « la bouche devient sexe, le ventre se métamorphose en trou, l’anus accouche et le sexe crie » active les fantasmes d’infanticide où le tout engloutir fait d’elle une digne fille de Cronos-Chronos.
Les fictions cannibales ne sont dorénavant plus réservées au mâle alpha, ce que démontrent Florian Pichon dans son exploration de Soudain l’été dernier de Tennessee Williams et Pierre-Olivier Gaumond qui furète du côté de Normand Chaurette. Par leur hors-scène, ces deux pièces de théâtre crient le cannibale en s’opposant aux figures anciennes (ogre, vampire, lycanthrope) outrageusement virilisées dans l’art et l’imaginaire occidental de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle. Et lorsque Patrick Bergeron rapproche deux nouvelles de l’autrice Renée Dunan, il s’intéresse en contrepoint à la « femme alpha », à la sur-femelle de la fin du XIXe siècle, à l’anthropophagie liée au conflit entre les sexes et à la polyandrie. Nous avons déjà souligné que le cannibalisme, recelant par sa pratique rituélique un enjeu de pouvoir notable, est forcément genré et, pour l’essentiel, virilisé dans l’imaginaire occidental, alors même que les illustrations de cannibales affamés du temps de Colomb démontrent que les femmes s’y adonnent autant que les hommes… La lointaine figure du zombie a contribué à fixer l’image carnassière du mâle dévorant plutôt que celle d’une mante religieuse. Or nos créations et nos études prouvent que le cannibalisme au féminin s’avère une voie de plus en plus explorée de nos jours. C’est une conseillère anthropophage chez Pedro Almodóvar, non un conseiller. Ce sont deux sœurs et une mère chez Julia Ducournau, réalisatrice et scénariste de Grave. Dans Le Jardin du bonheur de Dunan, le personnage de Zenahab a quatre maris, et l’autrice se plaît à installer en toile de fond exotique et lointaine (tels ces fameux confins des Grecs) l’ombre d’une mante religieuse vampirique. Sur ce point, rappelons que le vampire « est un cas limite, puisqu’il arrive à la satisfaction simultanée, en un seul spasme de volupté, des deux instincts suprêmes qui dominent l’univers : l’instinct libidinal de vie et l’instinct agressif de mort », ce qui rejoint Zenahab, la dévoreuse de maris. Et de penser, non sans un frisson, à la description des femmes uscoques qui, explique Dunan, seraient capables d’ouvrir l’artère carotide de leurs ennemis. Le cannibalisme, décidément, serait une affaire de lignée, de filiation, d’histoires de famille.
Cronos cannibale au ventre plein
Du cannibalisme cathartique métaphorisant l’adoration à la représentation de la perverse en cannibale, il est possible d’envisager le cannibalisme féminin comme une posture monstrueuse, é-norme. Le récit de Du sur l’auto-dévoration, ceux de Desgent et de Lalonde sur les résurgences ancestrales et le vide à combler par la poésie, celui de Larochelle sur les savoirs monstrueux, les ventres toujours ronds et pleins de Santos, l’autophagie créative dans le cinéma de Pedro Almodóvar, celle vouée à l’échec chez Mavrikakis, travaillent en profondeur ces cas limites. S’actualisent de fait de nouvelles fictions subversives au point de dynamiter les anciens antagonismes jugés incompressibles : homme/femme, nature/culture.
Une telle explosion doit aux leçons de Julia Kristeva et de ses successeures essayistes ou écrivaines, lorsque le corps féminin, à cause de ses fonctions maternelles, reconnaît sa part bestiale. Plus susceptible de représenter l’abject, si l’on reprend le vocabulaire kristevien, le corps-ventre se déforme et devient source de fantasmes cannibales : conception, gestation, mise au monde et même les premiers soins seraient autant d’étapes au fort potentiel monstrueux. Cette grille de lecture trouve un écho dans la suite poétique de Younes Belouchi. « À chaque matin seul matin je te dis je me coupe par soif par compassion Je me soucie me triturant de ce qui nous lie Maman ma chair mon sang Maman ma plaie tout ouverte », peut-on lire dans Autour de l’image noire. On y reconnait l’écueil de la répétition chronophage, le « je » incapable d’advenir. Le geste mutilateur de la serpe aux dents qui châtrent hante parfois le poème. L’on se souviendra qu’au début de la psychanalyse, Sigmund Freud relia la castration à la peur de la puissance de reproduction du corps féminin et l’identifia en tant que catégorie de l’inquiétante étrangeté. À cette étape de notre réflexion, Catherine Morency recentre la question de la maternité avec un poème adressé à son enfant : « Agile prospecteur, tu navigues / entre peaux anses et galeries. / Chaque veine donne lieu / à un forage intuitif. » Elle rejoint l’une des intuitions que Marie-Hélène Larochelle avait formulée lors de nos échanges : si le cannibalisme est ingestion, l’allaitement serait le don qui en renverse le mouvement ; si le cannibalisme est digestion, la parturiente délivrant un humain représente l’oxymore de la chair digérée.
Le cannibalisme s’envisagerait non seulement comme une forme unique de la criminalité, mais aussi comme un crime contre-nature quand il se décline au féminin : « Manger son enfant ? Je crois bien que c’est le fantasme enfoui de beaucoup de mères. Ingurgiter ce que nous avons un jour expulsé, rendre à la nature le fruit de nos entrailles. » À l’encontre de la dévoration heureuse de Morency, la famille en tant que source d’intégration/destruction seront ici mis en prose chez Kaliane Ung et Lou Sylvia. Avec une version des plus macabres du rituel du baby shower, Ung scrute à la loupe des destins ratés. Parce que sa narratrice tente d’influer sur le futur par un acte froidement calculé et sous-tendu par des relents vengeurs, le texte de Ung s’inscrit dans la lignée des tragédies grecques tout autant que dans celle des whodunit d’Agatha Christie ou de la série grinçante d’humour noir, Alfred Hitchcock présente. D’une autre eau est Rêves de morsures : Lou Sylvia s’échappe du récit court avec sa bonne chute comme critère de réussite. Sa prose tient autant du conte que de la poésie, laissant croître la parole délirante, rythmant son œuvre par des visuels de chairs à interroger. Bave rouge, Heure Bleue, chairs putréfiées de Francis Bacon : le mythe de l’ogre, dont Cronos serait l’image originale à défaut d’être originelle, a tout appris des contes macabres du XIXe siècle, des folies modernes, de l’échappée belle de la littérature québécoise. Loin des fragrances de Guerlain et du sang des épouses de Barbe-bleue se diffusent alors les miasmes de la colère créatrice de mondes cannibales.
De la dévoration à la ventriloquie
Voudrait-on ensevelir le monstre cannibale six pieds sous terre qu’on ne le pourrait plus aujourd’hui. Le cannibale s’avère de plus en plus fréquentable, ce que prouvent les récentes fictions qui réussissent à esthétiser les zombies, à accentuer la séduction du carnassier sous toutes ses déclinaisons et à mythifier le tueur en série, chargeant à chaque fois notre effroi d’une attirance trouble. Lors de ce processus, la récente pandémie a eu son mot à dire. Dans une nouvelle constellation symbolique, comment ne pas penser au texte de L’imaginaire de la greffe, dans lequel Philippe St-Germain souligne que le cannibalisme expose au risque de contagion ? On se référera de plus au scandale de la « vache folle », gardant à l’esprit ces bovins qui, pour des questions de productivité, se trouvèrent obligés de devenir carnivores, voire cannibales malgré eux. Tombés malades, leur consommation aurait fait courir le risque des pires contagions. Mais rien n’arrête les recherches des nouveaux apprentis sorciers ! Le site américain Bitelabs a créé un précédent en proposant des saucissons et des salamis de stars à partir de viande in vitro. Mauvaise blague, activisme ? Cette offre repose pourtant sur des recherches de fabrication de viande in vitro. Bref, le réel en tant qu’épouvantail et la fiction en tant que lieu d’extase et de mise en garde s’entre-pénètrent en une nouvelle diction cannibale. À sa façon, Daniel Laforest poursuit cette réflexion éthique et esthétique d’un point de vue médical avec La manducation sentimentale, titre clin d’œil à un roman d’apprentissage bien connu. Pour ce texte incisif, à la lisière de la recherche et de la création, l’auteur s’est armé d’une loupe de détective, du miroir grossissant du lanceur d’alerte et d’un exemplaire du roman de Flaubert. Il interroge à profit notre rapport à la chair, au corps en santé et au rapport avec le système dont il dépend. Il commence sa réflexion par une remarque essentielle : « le cannibale est la négation d’une négation ». Encore une fois, le bornage, la limite qui traverse tout ce dossier : le cannibale repense le Moi-peau, l’être en société, ce qu’est une éthique souhaitable pour l’humanité. Ce pourquoi Annie Du transforme la chair en biscuits-langues de gens, Catherine Mavrikakis joue avec des tasses à thé : un esprit métaphorique s’empare des créateurs et des créatrices qui aiment la possibilité de strier, de biffer les figures carnassières. Il bat ces dernières à leurs propres jeux et renverse la table : la métamorphose propre au mythe et au conte se mue en métaphore, matière de tant d’enjeux littéraires, dont celui de la censure, et d’enjeux scientifiques, comme le souligne Daniel Laforest.
Revenons quelques instants à L’Éducation sentimentale en tant que sous-texte de La manducation sentimentale. Derrière l’humour dont nous avons perçu la nécessaire mise à distance face à la violence du sujet, se révèle un principe de vases communicants. Celui des puissances symboliques et hyperboliques de l’être aimé à dévorer tout cru, à dévorer des yeux, à vouloir déguster morceau par morceau. Plusieurs collaborateurs et collaboratrices explorent cette dimension selon laquelle l’appétit sexuel, par un jeu de métaphore carnassière, échappe à tout contrôle. Là encore, le corpus sadien, auquel se consacre Frédéric Mazières, établit une origine de cette faim de l’autre dans les fantasmes pervers, tandis que dans Soudain l’été dernier de Tennessee Williams ou encore dans Grave de Julia Ducournau, analysés respectivement par Florian Pichon et par Coline Fournier,le climax télescope sexe et horreur. Avec son sarcasme coutumier, Salvador Dalí prétendait que le cannibalisme est une des manifestations les plus évidentes de la tendresse, et Georges Bataille, que « le baiser est le début du cannibalisme ». Puisque le baiser du vampire est déjà morsure, peu s’en faut pour qu’il devienne bouchée. C’est toute l’ambivalence entre la violence et la tendresse que l’on ressent dans l’étude de Jessica Schmidt Dohna. Elle approfondit en effet la relation entre Henry Miller et Anaïs Nin : réduite à une relation d’inspiration littéraire, elle est en réalité bien plus que cela, appelant cet imaginaire cannibale du corps jouissant pour lequel aimer, c’est vouloir dévorer sans violence, absorber totalement et être absorbé par l’autre. Ces amours dévorantes se déversent dans l’œuvre et l’écriture du journal de Nin, autrice en proie à une faim perpétuelle et jamais assouvie. À son journal, Nin confie se sentir, dans cette relation, à la fois déesse et nourriture. Mais la passion les dévore tous deux, et Nin perçoit en quoi ils ne se lisent pas seulement, ils ne font pas que se conseiller, ils se réécrivent l’un l’autre parce qu’ils entre-dévorent dans la joie, tout dans l’admiration éperdue. Nin pense de Miller qu’il est le plus grand des auteurs, Miller croit au génie littéraire de Nin. Cette dévoration qui rejoint le vampirisme de la création, le récit de Catherine Mavrikakis l’exploite dans une union allélophage et hématophage qui rime avec son jeu d’escamotage de tasse. Son récit met en place un tour de prestidigitation et de cannibalisme/vampirisme intellectuel envers la narratrice, une autrice consacrée par un « Prix Nivel ». Au-delà de l’histoire, Mavrikakis nous engage à penser aux conséquences symboliques du cannibalisme en ce qu’il est relié à la ventriloquie dans l’art et la littérature.
En tant que concept aujourd’hui pensé par plusieurs chercheurs internationaux, la ventriloquie est particulièrement efficiente pour dire le cannibale d’aujourd’hui. « Excuse mon langage, mais je l’ai appris du trou de ta bouche » : cette citation de la romancière Louky Bersianik, Catherine Lalonde la fait sienne pour ouvrir Trous, sa suite poétique qui prolonge sa Dévoration des fées et, à force de langues « autres » et « bouche-trou », résonne puissamment avec l’œuvre de Jean-Marc Desgent. Les deux puisent à l’archaïque, l’un avec une diction cannibale qui s’appuie sur un mythe célèbre, l’autre qui tire ses images d’un chaudron de sorcière. Dans le second cas, résonnent des voix anciennes qui se conjuguent au « féminin présent ». Demandons-nous s’il n’y a pas une connexion féconde à établir entre ventriloquie, cannibalisme et survie. Survie de soi, de l’espèce. L’étrange vivarium créé par Albertine Thunier et Hubert Alain s’appuie sur le potentiel utopique de nouveaux modes de reproduction à partir de la sexualité entomophage de la mante religieuse et de la parthénogénèse du phasme. S’accumule un nombre incroyable de références qui s’expriment en une ventriloquie fascinante pour parler de simulacres dévorants. Cette ventriloquie est poussée à l’extrême, finissant par se dévorer elle-même et poussant la réflexion à la boursouflure, à l’excès, à cette distance où tout se brouille parce que la pensée elle-même s’embrouille. S’ajoute à cette piste révélée par l’ensemble du dossier un mode d’emploi pour survivre non en une contrée exotique ou en un futur hypothétique, mais en un temps hostile, celui du passé : « Il faut face aux morts avoir grand-faim, il faut être cannibale et les bouffer tout rond ou les déchirer de nos dents avides. Il faut avaler nos morts ou c’est eux qui nous bouffent. Il n’y a rien à faire, c’est la loi de la jungle et du deuil ». Dans l’acte de création, la traversée des voix par la ventriloquie évacue la question des fantômes littéraires de Nin et de ceux d’Annie Du, exclut celle de l’imitation – n’en déplaise au peintre grec Zeuxis –, du trompe-l’œil, enfin, de toute proximité avec la mort en ce qu’elle serait dévoration et perte d’inspiration. Elle déplace et déforme l’autorité de la parole ; elle déplace l’espace de résonances. « Dans bouche, j’ai foule / car bouche c’est nid de langue », écrit Lalonde. Les trous ne sont plus à creuser dans la terre, mais à chercher en levant les yeux. Ils seraient des percées pour les étoiles, dans la poésie et dans la mythologie grecque. Pour celle-ci, la nuit résulterait d’une action des dieux : ils tendent un drap noir couvrant le ciel. Et parce que ce vieux drap est mité, il laisse passer un peu de la lumière aveuglante du monde divin. À bien y penser, les voix ventriloques ouvertes aux possibles et aux étoiles filantes seraient autant de cannibales sur un vaisseau abandonné, sans autre nourriture que leur voisin décharné sur qui on finit par lorgner. L’ultime question à l’horizon : y a-t-il de quoi aller assez loin pour quitter un monde plus que jamais ensauvagé ?