L’attaque des Koro-pok gurus

L’attaque des Koro-pok gurus

Frédéric Weigel

Frédéric Weigel mène une réflexion pluridisciplinaire issue de sa pratique artistique et de l’organisation d’expositions au sein du centre d’art indépendant le « Palais des paris », qu’il a fondé à Takasaki au Japon. Ses travaux se retrouvent aux adresses suivantes : http://weigel-frederic.fr/ et http://palaisdesparis.org/.

L’attaque des Koro-pok guru, Frédéric Weigel, 2022. Une sélection de 8 peintures sur 146, acrylique sur papier millimétré au format 100 cm x 70 cm.


Le manga L’Attaque des Titans décrit une société à l’allure médiévale, mais arborant le fonctionnement d’un état ultranationaliste qui suppose l’existence de races en conflit permanent. L’humanité y est définie par opposition à une menace extérieure qui possède une forme humaine, mais qui n’en est pas moins monstrueuse. Ce paradigme poussera le personnage principal à exterminer 80% de l’humanité afin de sauver le reste de celle-ci.

La société d’anthropologie de Tokyo a connu une controverse scientifique de 1887 à 1913 : celle-ci concernait l’hypothèse de l’existence du peuple préhistorique des Koro-pok-guru, ce qui signifie « hommes vivant dans des trous ». Il s’agissait d’un discours anthropologique altéroréférentiel qui permettait de définir l’identité japonaise par sa différenciation de ce peuple primitif. C’est John Milne qui, en 1882, avait donné ce nom pour décrire un peuple de potiers anthropophages dont l’amas coquillier d’Ômori, découvert par Edward S. Morse en 1877, avait signalé la probable existence. Les débats autour du peuple mythique des Koro-pok-guru se sont terminés avec la mort de Tsuboi Shôgôro en 19131 Cf. Arnaud Nanta, Débats sur les origines du peuplement de l’archipel japonais dans l’anthropologie et l’archéologie (1870-1990), thèse de doctorat, Université Paris 7, 2004..

Pour l’attaque des Koro-pok-guru, à chaque peinture sur papier millimétré de format B1, j’ai décidé de m’inspirer d’une bulle du manga L’Attaque des Titans et d’une illustration de titan(s) placée dans un trou. L’opposition habituelle entre le vitalisme des arts et le mécanisme appauvrissant des sciences n’est probablement qu’un trompe-l’œil. En s’éloignant des peintures, le papier millimétré prend l’apparence d’un fond métaphysique. À l’inverse, en les regardant de très près, la vibration qui émerge des corps n’est rien d’autre qu’un agrégat pictural sans âme. Néanmoins, il est probable qu’un rêveur romantique passant devant ces peintures se persuade lui-même que cette matérialité inerte renvoie tout de même à un quelconque panthéisme primitif. Ainsi en va-t-il des peintures comme des peuples fictionnels : ils ne sont rien d’autre que des miroirs pour idéologues.

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     Cf. Arnaud Nanta, Débats sur les origines du peuplement de l’archipel japonais dans l’anthropologie et l’archéologie (1870-1990), thèse de doctorat, Université Paris 7, 2004.