Noir vautour.
Prélude du cygne
Suite poétique inspirée des œuvres de Rober Racine
Écrivaine, chercheuse et traductrice littéraire, Chantal Ringuet poursuit une démarche en recherche-création où les archives, les enjeux de la mémoire, la traversée des langues et les arts visuels occupent une place essentielle. Elle a publié plusieurs ouvrages, dont les recueils de poésie Le sang des ruines (Prix littéraire Jacques-Poirier 2010), Under the Skin of War (BuschekBooks, 2014) et Forêt en chambre (Le Noroît, 2022), de même que les livres d’artiste Trois entretiens. MishtuK AimU. Three Conversations (Dialogues Riopelle, Atelier Piroir, 2023) et Le chant d’Odessa. The Song of Odessa. Dos lid fun Odes (Atelier Piroir, 2024). Spécialiste de la littérature yiddish, de Leonard Cohen et de la littérature des femmes, elle a traduit certaines voix singulières de la littérature mondiale (Marc Chagall, Rachel Korn et Adrienne Rich). En 2024, elle occupait le poste d’Écrivaine en résidence Mordecai Richler au Département des littératures de langue française, de traduction et de création (DLTC) à l’Université McGill.
tu avancesresplendissant de vautours
quand s’étire outre-corps le trait
écrire dans les marges du temps
là-bas
sera lianes
de feu
à peine vivant, à peine mort
vivre la concurrence des signes
la pureté de toute ivresse de toute détresse

Rober Racine, Derniers vautours du livre 5, no 61, 2004, techniques mixtes sur papier (8,5 x 11 pouces), collection privée1Les dessins des vautours sont publiés en ligne sur le
blog : https://roberracinedessins.blogspot.com/. Les dessins des
cygnes de Léda sont publiés en ligne sur le blog :
https://lescygnesdeleda.blogspot.com/..

Rober Racine, Cygne de Léda no 316, 2023, café, gouache et huile sur papier cartonné crème (8,5 x 11 pouces), collection privée.
noir soudain
les cygnes s’évadent – une possible étreinte – dans le désordre des chimères
quelques traces falsifiées prolongent ton regard sa mémoire fluide
le reflet de tes pages-miroir épingle les douleurs du monde devant le visage abîmé du siècle
***
dans ton parc le vernis du jour s’installe il habille tous les mots du dictionnaire enluminés de dorures et de couleurs
les ombres se rangent avec délicatesse derrière le murmure des feuillages caressant ton cœur mis à nu
***
oiseaux fixes
sans chandail ni robe
cols de clown à volants
arborent le lustre et la gloire de ton esprit vainqueur
autour de leur silhouette quelques taches de gras rappellent une fugue pour grand orchestre
un opéra imaginaire



Rober Racine, Derniers vautours du livre 6, no 13, 2004, techniques mixtes sur papier (8,5 x 11 pouces), collection privée.
Rober Racine, Derniers vautours du livre 6, no 23, 2004, techniques mixtes sur papier (8,5 x 11 pouces), collection privée.
Rober Racine, Derniers vautours du livre 7, no 14, 2004, techniques mixtes sur papier (8,5 x 11 pouces), collection privée.
le compositeur de musiques sublimes l’ami enlevé par les serres d’une crapule hideuse et sans pitié
et toi, Crois-tu en l’immortalité de l’âme ? son dernier manuscrit taché de sang
son testament pour l’humanité
a pourtant échappé aux griffes de l’assassin à sa victoire sordide
et maintenant les fées dansent avec lui ce Lonely Child ce Bel enfant qui dort d’un sommeil éternel en rêvant de ton parc où il se promène chaque matin
où il invente les symphonies d’un nouvel âge d’or dépossédé de l’infâmie et du tourment disgracieux des âmes perdues et folles de lubricité
***
et maintenant défilent hors tombeaux
des robes de vautours sans visage
ces costumes de théâtre portant l’usure du soleil couchant
ta main s’ouvre sur des acrobaties aériennes ficelant le vide
majestueux
un cygne s’avance
dans ces ténèbres où la lumière ne résonne plus



Rober Racine, Derniers vautours du livre 5, no 63, 2004, techniques mixtes sur papier (8,5 x 11 pouces), collection privée.
Rober Racine, Derniers vautours du livre 7, no 1, 2004, techniques mixtes sur papier (8,5 x 11 pouces), collection privée.
Rober Racine, Derniers vautours du livre&nsbp;5, no 48, 2004, techniques mixtes sur papier (8,5 x 11 pouces), collection privée.
***
et maintenant, tu dis que la mort t’a oublié depuis si longtemps que tu ne l’attends plus
comme une voleuse qui part en laissant des pièces d’or sur la table
après s’être rempli les poches de la monnaie de ton ciel
***
en haut de l’escalier ton rire retentit
tu emportes les bruits du dehors et la rumeur de la foule dans ta chute splendide
– tout est question de degrés et d’altitude –
un parfum évaporé de pervenche épouse le règne de ton exil
***
patte blessée sous le velours des ailes
chanceler, chavirer
si tu boites il faudra réparer le cœur
sans quoi le paysage se repliera sous l’armure
le socle de ta division ailée
***
Rober Racine, Dernier cygne de Léda dans la nuit, no 4, 7 novembre 2016, craie sur carton noir (8,5 x 11), collection privée.
la mort, ce mystère de nuits’abîme en dentelles et ombrages dans le marc de café
peu à peu
les fantômes s’esclaffent devant les os blanchis
des rapaces
ton verbe se disloque sur le papier mouillé
***
tu t’élèves parmi les cygnes de Léda
sur ta table de travail
des ossements somptueux nourris de charognes
éployées
une certaine élégance compense
pour les inaptitudes sociales
malgré la prison de chair un roi esseulé triomphe
se gave d’obsessions
et de tendresse

Rober Racine, Derniers vautours du livre 4, no 41, 2001-2004, carbone sur papier glacé photographique (8,5 x 11), collection privée.
- 1Les dessins des vautours sont publiés en ligne sur le
blog : https://roberracinedessins.blogspot.com/. Les dessins des
cygnes de Léda sont publiés en ligne sur le blog :
https://lescygnesdeleda.blogspot.com/.