D’origines innue et naskapie, Marjolaine McKenzie possède une formation en théâtre et a joué dans plusieurs productions scéniques. En 2005, elle a fondé sa propre compagnie de théâtre, Papu Auass. Marjolaine McKenzie s’est impliquée dans plusieurs projets de cocréation, notamment avec le Spiderwoman Theatre. En 2021, elle a été stagiaire à la revue JEU. Elle travaille présentement sur un nouveau texte théâtral, Tepatshemu, portant sur le caribou. Ses premiers textes littéraires viennent d’être publiés chez Hannenorak dans les collectifs Autour du feu / Around the fire et Contes de la Tortue / Tales from the Turtle.
Quand nous regardons vers le ciel, nous pouvons voir plusieurs étoiles. Là d’où je viens, nous utilisons les étoiles pour nous guider dans nos déplacements et spécialement l’étoile Polaire ; c’est la seule qui reste fixe. Durant l’automne et en hiver, Saturne, avec ses anneaux, est la planète qui se démarque par sa proximité avec la lune. Quand nous regardons la lune dans un ciel dégagé, Saturne brille plus que les autres étoiles et nous pouvons facilement observer son déplacement au fil des semaines. Pour nous, les nomades, chaque étoile est une personne qui est partie vers les cieux rejoindre le monde des esprits. On raconte que des hommes ont marché sur la lune à une autre époque. Vous vous imaginez, être dans le monde céleste, le monde des esprits, et en revenir ?
Il y a des scientifiques qui se promènent d’un campement innu à l’autre pour informer la population au sujet des tempêtes solaires, parce qu’une grosse tempête aurait entrainé une panne mondiale d’électricité et nous aurait plongés dans la noirceur. Depuis, il est plus facile de communiquer avec le monde des esprits. Les scientifiques sont dubitatifs. Ils refusent de considérer nos modes de communication spirituels. Pourtant, nous communiquons toujours avec nos proches disparus. Les sages, eux, disent que, durant la tempête, nous aurions traversé la porte énergétique qui nous connecte directement aux deux mondes.
Il y eut un temps où les aurores boréales ne venaient danser que dans les froids glacials et où elles étaient presque toujours vertes. Ma mère m’a dit que ma grand-mère lui racontait que, toute petite, elle hurlait aux aurores boréales pour les faire danser. Nous savons aujourd’hui que ce sont nos familles qui nous ont quittés pour le monde cosmique qui viennent nous voir. Je me demande si ma grand-mère savait ça, que, quelquefois, des personnes du passé viennent nous rendre visite.
Ce soir, la nuit est illuminée d’un ciel coloré jaune orangé et d’un vent venant de l’ouest, nous pouvons entendre crier des enfants : « Maman ! Papa ! ». Au campement, les gens poussent leur porte de toile pour regarder à l’extérieur. Certains sont endormis et tous se demandent qui sont ces enfants qui cherchent leurs parents. Un des hommes comprend que les voix proviennent du ciel. Tous sortent de leur tente et, soudainement, un étrange phénomène se produit. Les cieux descendent et nous nous retrouvons debout à travers les vents et les couleurs. Et là, sept frères apparaissent pour nous raconter leur histoire.
D’un coup, nous sommes transportés dans des plaines affectées par une sécheresse. Là, sept jeunes garçons jouent et rient. Un des frères nous explique qu’ils cherchent leurs parents depuis longtemps, qu’ils voyagent à travers les plaines du nord au sud et du sud au nord pour les retrouver. Tout est plat autour de nous, l’horizon est sans fin. Au loin, ils nous montrent leur tipi. Nous marchons vers leur maison et nous les regardons allumer un feu. L’aîné des frères nous dit que, lorsque leur père était présent, ils avaient appris à être de bons chasseurs, mais que, depuis des semaines, les animaux se font rares, que la pluie n’est pas tombée depuis des mois et que le froid s’installe rapidement.
Ils nous racontent qu’une nuit, ils jouèrent à manger des aliments, à tour de rôle : chacun prétendait cuisiner un repas et offrait un plat rempli de nourriture à chaque frère. Le plus jeune, épuisé, avait commencé à pleurer, il disait que leur vie était misérable et s’ennuyait terriblement de sa maman. Pour lui remonter le moral, ses frères avaient décidé de faire un immense feu avec les perches de leur tipi, les derniers morceaux de bois qu’ils leur restaient. Un feu qui allait toucher les étoiles. Devant nous, ils allument alors les perches.
Un des frères sort son tambour et commence un chant et ils se mettent en cercle autour du grand feu. Ils commencent à danser, et ils dansent jusqu’à la tombée de la nuit. Le plus jeune commence à s’élever dans les airs, cela l’amuse beaucoup. Il regarde vers le ciel tout en bougeant les bras, gardant le rythme de ses pas grâce au tambour. Pour la première fois depuis des jours, il ne sent plus la faim. Dans l’euphorie de leur voyage, un des frères crie à travers les rires : « Continuons à danser ! », et les autres garçons sont soulevés à leur tour. Le tambour résonne partout dans les plaines et tranquillement, il se fait de moins en moins bruyant.
Nous regardons les sept frères partir de plus en plus haut. Nous pouvons observer que, pour protéger leur petit frère, les plus vieux dansent autour de lui. Soudainement, ils ne bougent plus, mais ils brillent ensemble. La tête levée et tournée vers les cieux, une étoile filante passe et nous suivons son trajet jusqu’à ce qu’elle disparaisse. Elle nous ramène doucement à notre campement. Nous sommes tous bouleversés par la tragédie des sept frères. Cependant, ils resteront ensemble pour toute l’éternité.
Avant de retourner dans ma tente, je cherche les étoiles de la constellation de la Grande Ourse. Pour la trouver, il faut chercher l’étoile Polaire. Les scientifiques, eux, y voient un chariot, une cuillère ou une casserole. J’aime mieux y voir l’ourse.