Faux-soleil

Faux-soleil

Tom Brabant

Tom Brabant est artiste plasticien diplômé de l’École des Arts Décos de Paris. Son travail s’articule entre trompe-l’œil et jeux conceptuels, qui suivant un esprit scientifique, enquête sur le faire de l’artiste. Il travaille ainsi sur l’ambivalence de la matière, du temps et du regard. Dans sa pratique, Tom tente de créer une fascination pour une réalité troublée et troublante.

Les deux photographies font partie d’une série d’images imprimées sur rhodoïd, en transparence. Elles illustrent des lumières artificielles dans des scènes où elles semblent voler, imiter ou parodier la place du soleil.

Le titre de cette collection d’images est emprunté au poème « Le serment de fidélité » de René Daumal1René Daumal, « Le serment de fidélité », Le Contre-ciel, Paris, Gallimard, 1970 [1929], p. 78. :

Comme une orbite privée de son astre
je me pensais en cercles vides sur moi-même ;
j’ai poursuivi des lunes fantômes,
je me suis consolé de trop de faux soleil.

C’est sans doute cette strophe qui révèle mon intérêt pour l’œuvre de René Daumal. Je suis fasciné par l’astromorphisation du sujet lyrique, se considérant astre lui-même, jongleur de planètes et entre les planètes. Dans cette consolation, le « je » se sent privé de son centre de gravité, tourbillonnant sur lui-même, il est comme astéroïde. Il est pourtant bien ancré sur la terre ferme puisque les « lunes fantômes » et le « trop de faux soleil » dont il est question dans le poème, ne sont autres que les nuits blanches passées sous les lumières artificielles du XXe siècle. Il ne dort plus, il se dés-astre, se dé-sole.

J’ai découvert « Le serment de fidélité » lors de recherches sur la place du soleil dans les écrits de René Daumal et de Georges Bataille. Déjà attiré par la similarité des qualités du soleil dans les écrits de ces deux auteurs, c’est en remontant jusqu’à leurs premiers écrits que je remarque une simultanéité. Alors qu’ils ne se connaissaient pas, ils ont tous deux commencé à écrire (ou du moins à publier) en janvier 1927, faisant du soleil l’objet d’une même quête obsédante et récurrente. Cet indice ou cette coïncidence solaire, me conforte dans mes recherches sur la quête d’un soleil irrationnel.

En parallèle de ces recherches, j’ai reparcouru ma galerie de photographies prises lors de balades nocturnes ou diurnes, à la recherche de faux soleil qui ont consolé mes pensées fantômes. J’ai trouvé dans quelques-unes de ces photographies mon regard rêveur aux possibilités d’un monde irréel. Par exemple, dans l’image ci-dessous, des lumières de fête se reflètent sur la baie vitrée donnant l’impression qu’elles s’étalent sur le ciel. Dans le crépuscule, elles semblent célébrer un évènement céleste inconnu, empreint d’une mélancolie a-solaire.

Faux-soleil (la fête) et Faux-soleil (la plage) ont été montrées à l’occasion de mon exposition de diplôme C’est déjà faux la fin ! où les notions de fin, de boucle et de faux étaient mises en exergue à travers mes différents travaux plastiques. La question du double y était aussi à l’honneur, en clin d’œil à l’étymologie du mot « diplôme » (du grec diplóos, double), d’où ces faux soleil doubles, répétant l’illusoire à travers un jeu d’optique (loucher2Au sens puéril du terme : « est-ce que tu sais loucher ? », soit croiser les champs de vision de chaque œil afin d’avoir une vision double. ou zoomer la scène). Imprimées sur du rhodoïd en transparence, accolées aux vitres de l’espace d’exposition, elles invitent à prolonger le regard à l’extérieur, à confronter ces images presque fictives au réel qui existe en hors champ de l’espace d’exposition. Comme une coïncidence solaire, au pied du bâtiment était une école primaire où les enfants jouaient dans la cour de récréation au jeu « 1, 2, 3… Soleil ! ».

  • 1
    René Daumal, « Le serment de fidélité », Le Contre-ciel, Paris, Gallimard, 1970 [1929], p. 78.
  • 2
    Au sens puéril du terme : « est-ce que tu sais loucher ? », soit croiser les champs de vision de chaque œil afin d’avoir une vision double.