Trous (extraits)

Trous (extraits)

Catherine Lalonde

Catherine Lalonde est née en 1974 et vit à Montréal. Elle a fait paraître au Quartanier La dévoration des fées (prix Alain-Grandbois 2018, finaliste au Grand Prix du livre de Montréal et aux Prix littéraires du Gouverneur général), ainsi que Cassandre et Corps étranger (prix Émile-Nelligan), d’abord parus chez Québec Amérique en 2005 et 2008. Formée à la danse contemporaine, elle précise depuis 2018 sa recherche autour du corps, de la relation et de l’écriture par ses performances poétiques et parlées (dont Rencontre d’auteur, en création) et des labos danse-écriture pour créateurs de tous horizons.

« Excuse mon langage, mais je l’ai appris du trou de ta bouche »
– Louky Bersianik

J’ai trous.

Tous trous.

J’ai trou dans tête.

C’est bouche.

Dans bouche, j’ai foule

car bouche c’est nid de langue.

Langue, c’est autres

les autres, tous les autres.

Masse de monde, masse d’histoires,

Masse de temps massue,

en masse.

Dans bouche, j’ai foule 

j’ai autres, et langue bouche-trou.

J’ai trous dans tête

et oui, c’est bouche.

Bouche c’est faim

 faim et langue

c’est pareil et

c’est pour mieux te manger mon enfant.

J’ai toi dans tête

dans bouche

et mots comme nids

comme lange de langue

et dents pour mieux vous charcuter mon enfant

et les carnes les voyelles et aussi toi pour combler mon ‘pétit.

J’ai trou dans tête

vire-langue et coupe-gorge

trou l’attrape-coeur

et l’on y meurt, et

  toi et moi ‘ssi.

Et je sais 

je sais toi, 

et tous trous gigognes

toi moi je sais et de mottes 

et mielleuses moelles tous trous avant que d’avoir

je sais que delà percent les scripts,

et que delà se disent et se crivent

de suaves savoirs.

J’ai trous

toi dedans

sans fond y voir l’O et 

l’à-venir, là y voir lettres canines

et cœurs de tonnes de tornade tombés en nous

tombés par trou en nous – et je parle de nous, tu vois ?

je parle de celles en viandes, celles des pourtours de phabets, les rares, annibales

celles qu’il fallait et ceux d’or fallait fallait voir, de bustion humaine et lettres pothicaires

celles faites avec le baume, l’ambre gris, l’amome, la civette

et autres choses de prix tels cuivre et dentelle

bronze, soie, airain et porcelaine et le saphir, 

le chrysolithe et le topaze, miam.

On en mangerait.

J’ai trou

vire-l’ange et gorge-nœud

trappe-rêves et joies gorgones

 tragigordiennes

ses têtes à queues 

de polies polissonnes

et toi oui toi plein trou.

J’ai mots tout-monde, mondes en masse,

monde qui parla, par langue par-ci par-là.

Tout t’avale et moi ‘ssi à rebrousse-bouche, tel

l’en haut l’en bas, de festin à chiée le neuf pousse le vieux

et on se goûte, glution gloutonne, on se dore on s’entrevore car

c’est s’apprendre le ‘pétit, se digérer l’une l’autre et canines et molaires

ton dire mes dires sans temps, mange-vulves et mange-monde,

mondes bouche-trou, bâillon de haillons, 

bouche pleine de mondes en charpies

pleines d’autres – bouche 

pleine de bouches –

et dents arrachées

de bouche-trous

de trous dans tête

Dans tous trous

j’ai toi

j’ai moi

et on en mangerait.