ma mère, ma morte

ma mère, ma morte

poèmes

Jean-Simon DesRochers

Depuis 2001, Jean-Simon DesRochers déploie une pratique d’écriture qui aborde le roman, la poésie, la nouvelle, l’essai et le scénario. Récipiendaire du prix Émile-Nelligan, finaliste au prix du Gouverneur général, au prix des Collégiens ainsi qu’au prix des Libraires, son œuvre est reconnue tant par la critique que par le grand public. Iel est professeur agrégé en recherche-création au Département des littératures de langue française de l’Université de Montréal.

mars a duré quatre ans ma mère, ma morte et me voilà usé comme le blanc souvenir de ta main dans la mienne

*

bras repliés, respiration roulante, yeux clos sans mirages, ton corps patient au bord du vide m’a nargué à la moindre insomnie, tu sais, j’ai tant vieilli

*

je pratique l’hygiène du deuil, ma mère, j’habite la vapeur acide de ton absence, à nouveau, je fréquente l’image de tes poings affrontant la terre, le ciel, sa perte

*

mon visage porte tes rides avec une grise élégance, ton héritage, un orgueil miroir aux reflets qui s’insultent

*

quatre ans le cœur dans un étui et j’ignore comment revenir : je n’ai plus l’alibi de la jeunesse ni la dignité du mourant, je n’ai que doute et honte et trop peu d’épaules à offrir

*

longtemps j’ai réparé l’avenir : ta fin, je l’avais écrite, souhaitant faire du réel une langue, un ennemi à la mesure de ma faiblesse, un jardin où le sens m’aurait berné

*

je me suis parfois réfugié à l’intérieur de mon nom, il existe plus que moi, il cultive mes punitions par la mémoire, les erreurs qui m’ont contraint à rêver seul

*

encore j’hésite et récolte de courtes phrases, racines de roches prêtes à exciter la chute – je me saisis d’un mot, jamais le bon, jamais assez féroce pour contrer la parole, son piétinement d’enfant gâté – tu m’excuseras, je m’en remets à des symboles surannés, épuisé d’être l’ultime gardien de ton silence

*

quatre ans de mars ma mère, ma morte, je n’attends rien du printemps, je déteste sa boue comme sa poussière, je suis une rumeur d’automne clouée aux arbres noirs dans la blancheur de l’air

*

un tournis à la fois, j’ai appris à m’effacer, à m’asseoir en moi, à devenir le clandestin qui se nourrit de sel et d’injures

*

ma gestation perpétuelle, quatre murs et autant d’années, traître garçon cracheur de promesses, étranglé là, au fond du cachot qui était, je l’ai cru, ma dernière tête

*

le déni a couvert mes yeux de braises, m’a bercé, m’a menti : c’est là ton legs, ta robe portée en secret, une pensée bleu et rose, aveugle aux utopies du couchant

*

mars a duré quatre ans, ma mère, ma morte et c’était la guerre – ci-gît mon corps garçon parmi les cendres                                              mon corps du lendemain t’adresse ses premiers babils, sa paix souffle ton nom qu’un jour, il saura écrire