Dossier 12

Rêver les étoiles
La (ré)interprétation des récits célestes dans les littératures et les arts autochtones contemporains

Sous la direction de
Caroline Nepton Hotte et Marie-Eve Bradette

Sonny Assu, Home Coming, 2014.

Avant-propos



Femmes et récits célestes

Camille Roberge

Résumé / Abstract

Résumé : Cet article aborde l’effritement des frontières ontologiques occidentales dans les littératures autochtones en s’appuyant sur le roman Split Tooth (2018) de l’écrivaine et artiste multidisciplinaire inuk Tanya Tagaq. Il étudie comment le mythe des Aurores boréales est transformé par l’écriture romanesque et comment cette réactualisation permet de repenser la notion de personne depuis son ancrage dans la pensée et les savoirs inuit. Il est alors principalement question du personnage des Aurores boréales, en relation avec la narratrice et le territoire représenté dans le texte. Cette lecture est croisée à des écrits d’anthropologues et d’auteurs autochtones afin de dégager une notion inuit de la personne dans Split Tooth.

Abstract: This paper looks at the weakening of ontological borders in Indigenous literatures by way of the novel Split Tooth (2018) from Inuk multidisciplinary artist and author Tanya Tagaq. It studies how myths of the Northern Lights are transformed by their novelization and how this helps to rethink the concept of a “person” anchored in Inuit thoughts and knowledge. This paper mostly addresses the character of the Northern Lights through the novel’s narrator and territory where it is set. This interpretation is supported by texts from anthropologists and Indigenous authors with the goal to propose an Inuit conception of the “person” in Split Tooth


Véronique Basile Hébert


Marie-Eve Bradette

Résumé / Abstract

Résumé : Cet article met à contribution les écritures littéraires autochtones et la manière dont celles-ci peuvent devenir des lieux de savoirs situés et relationnels qui engagent un processus de revitalisation des connaissances féminines en lien avec Tipiskâwi-pîsim, la Lune en nehiyawewin. Ce faisant, il aborde le lien entre Tipiskâwi-pîsim et les jeunes filles autochtones à partir de l’expérience des premières menstruations et de sa représentation en littérature en formulant la question suivante : comment la littérature permet-elle une reprise en charge narrative et symbolique des savoirs féminins autochtones associés aux menstruations et quel rôle joue Tipiskâwi-pîsim dans la constitution et la revitalisation de ces savoirs à la fois culturels et corporels ? Afin de répondre à cette question, l’autrice analyse le recueil Burning in this Midnight Dream de la poète nehiyaw Louise Bernice Halfe et l’album jeunesse Moon Time Prayer de l’autrice métisse de la Rivière Rouge Cindy Gaudet.

Abstract: This paper examines Indigenous literary writings and how they become sites of situated and relational understanding engaged in a process of revitalizing female knowledge in relation to Tipiskâwi-pîsim, the Moon in Nehiyawewin. It addresses the connection between Tipiskâwi-pîsim and young Indigenous girls through the experience of the first menstruation and its representation in literature, asking the question: How does literary work allow for a narrative and symbolic recovery of Indigenous feminine knowledge associated with menstruation, and what role does Tipiskâwi-pîsim play in the constitution and revitalization of this knowledge, which is both cultural and corporeal? To answer this question, the author analyzes Burning in this Midnight Dream by Nehiyaw poet Louise Bernice Halfe and the childrens’ book Moon Time Prayer by Red River Métis author Cindy Gaudet.


Le ciel d’Abiayala

Renato Rodriguez-Lefebvre

Abstract / Résumé

Résumé: Le Popol Wuj est un texte majeur des littératures autochtones des Amériques : il compte parmi les quelques œuvres littéraires ayant survécu à l’invasion espagnole du Guatemala. Le récit cosmogonique qu’il contient, en même temps que la longue histoire de ses interprétations, allant de l’espagnol au français en passant par l’anglais et revenant graduellement au k’iche’, expliquent en partie les multiples traductions qui en ont été faites : c’est là que réside un enjeu majeur, puisque son récit cosmogonique est souvent, à défaut d’un meilleur mot, apparenté à une création ex nihilo. Or le texte k’iche’, par sa richesse et sa densité, laisse entrevoir un autre horizon de sens, dont l’article cherchera sommairement, en citant de multiples traductions et commentaires, à dégager, afin de préparer un éventuel chantier de traduction, en français. Les termes qui touchent la « création » et la « formation » de la Terre y sont particulièrement ciblés, emblématiques qu’ils sont du défi littéraire et langagier représenté par la traduction du Popol Wuj.

Abstract : The Popol Wuj is a major text of Indigenous literature in the Americas: it is one of the few surviving literary works having survived the Spanish invasion of Guatemala. The cosmogonic narrative it describes, together with the long history of its interpretations, from Spanish to French to English and gradually back to K’iche’, explains in part the multiple translations that have been made of it. This is where a major issue lies, since its cosmogonic narrative is often, for lack of a better word, likened to a creation ex nihilo. The richness and density of the K’iche’ text, however, suggests another horizon of meaning, which this paper will briefly attempt to identify, by citing numerous translations and commentaries, in preparation for a possible French translation project. Terms relating to the “creation” and “formation” of the Earth are particularly targeted, emblematic as they are of the literary and linguistic challenge represented by the translation of the Popol Wuj.


Clémence Demay

Résumé / Abstract

Résumé : « La cosmogonie est le plus ancien des genres littéraires » : tels sont les mots, empruntés au poète français Paul Valéry (1871-1945), sur lesquels s’ouvre le recueil bilingue zapotèque-espagnol Guie’ yaase’ / Olivo Negro (2004) de la poétesse Natalia Toledo. Dès le titre et la citation en exergue, le recueil se place sous le signe des racines – avec l’image de l’arbre – et du cosmos, interrogeant les mythes fondateurs de l’histoire du peuple zapotèque binnizá dans une perspective poétique. S’ils sont originaires de l’Isthme de Tehuantepec, dans la région de Oaxaca au Mexique, les binnizá sont aussi appelés « gens-nuage ». Ce lien cosmique apparaît dans la poésie de Natalia Toledo, associé à l’image récurrente de la chute qui s’en est suivie, comme métaphore de la colonisation et du déracinement imposé. Pour les binnizá, c’est l’aveuglement qui domine, par la dépossession de leur terre et migration forcée au cours de l’Histoire, mais aussi par le poids de l’oubli et de la honte. Dès lors, à partir de la réécriture de ce mythe originel, il s’agit pour Toledo d’inviter à une reconfiguration du regard et des représentations zapotèques, et d’affirmer la survivance de sa culture et de son peuple. Loin de disparaître, ses racines se sont nourries et propagées depuis la colonisation : à partir de la citation de Paul Valéry, elle dessine alors une « constellation » littéraire dans laquelle elle inscrit sa poésie. Grâce à l’image des racines et des constellations, nous verrons que la réécriture des mythes fondateurs permet une réappropriation décoloniale des représentations et l’affirmation d’une poésie cosmique, mouvante, et visionnaire. 

Abstract: “Cosmogony is the oldest of literary genres”: these are the words, borrowed from the French poet Paul Valéry (1871-1945), with which the bilingual Zapotec-Spanish collection Guie’ yaase’ / Olivo Negro (2004) opens by the poet Natalia Toledo. From the title and the opening quote, the collection places itself under the sign of roots – with the image of the tree – and the cosmos, questioning the founding myths of the history of the Binnizá Zapotec people from a poetic perspective. Although they originate from the Isthmus of Tehuantepec, in the Oaxaca region of Mexico, the binnizá are also called “cloud people”. This cosmic link appears in the poetry of Natalia Toledo, associated with the recurring image of the fall that followed, as a metaphor for colonization and the uprooting: dispossessed of their land and forced to migration throughout History, but also to oblivion and shame, it is blindness that dominates. From then on for the poet, from the rewriting of traditional myths, it is a question of inviting a reconfiguration of the Zapotec gaze and representations, and of affirming the survival of her culture and her people. Far from disappearing, its roots have been nourished and propagated since colonization: based on the quote from Paul Valéry, she then draws a literary “constellation” in which she inscribes her poetry. We will see that from the image of roots and constellations, the rewriting of founding myths allows a decolonial reappropriation of representations and the affirmation of a cosmic, moving, and visionary poetry.



Constellations

Hannah Claus


Joëlle Rondeau, Mélanie Chaplier, Laurie Rousseau-Nepton,
Karine Lanoie-Brien, Kim Picard, Francine Allaire, Élodie Pollet

Résumé / Abstract

Résumé : Depuis plusieurs décennies, cinéastes et documentaristes autochtones se réapproprient un médium qui a longtemps servi à véhiculer des représentations stéréotypées renforçant les discours et la structure de pouvoir du colonialisme de peuplement. Parallèlement, des chercheurs autochtones travaillent à retrouver et à revitaliser les liens de leurs nations aux savoirs célestes, à leur importance culturelle, cosmologique et épistémologique. On peut y voir des projets vecteurs de résurgences autochtones. Dans le cadre de cet article, nous proposons de réfléchir aux démarches et aux processus de recherche d’un projet entrepris au croisement des formes de souverainetés narratives s’exprimant par le cinéma autochtone et des astronomies autochtones résurgentes. Il s’agit d’un film d’animation immersif, présentement en phase de production, portant sur les liens aux astres, au rêve et au territoire des Premiers peuples du nord-est de l’Île de la Tortue. Dans cet article, nous décrivons la recherche menée pour développer la scénarisation du film en la mettant en dialogue avec l’approche du storywork développée par Jo-Ann Archibald, et les formes de résurgences qui en découlent. Ce faisant, cet article vise à montrer comment les récits célestes agissent sur nous – et sur le projet – alors que nous cherchons à les (ré)interpréter dans une œuvre cinématographique autochtone et collaborative d’une ampleur sans précédent. 

Abstract: For several decades, Indigenous filmmakers have been reclaiming a medium that has long been used to convey stereotypical representations strengthening settler colonialist discourses and power structures. Concurrently, Indigenous researchers have been working to recover and revitalize their peoples’ connections to Star Knowledges and their cultural, cosmological and epistemological significance. These projects can be seen as vectors of Indigenous resurgence. In this paper, we propose to reflect on the approaches and research processes of a project undertaken at the intersection of forms of narrative sovereignty expressed through Indigenous cinema and resurgent Indigenous astronomies through an immersive animated film, currently in production, about the relationships that the First Peoples of northeastern Turtle Island have nurtured with the stars, dreams and the land. In this multi-authored article – and in dialogue with the “storywork” approach initially developed by Jo-Ann Archibald – we describe the research carried out to develop the film’s script and the forms of resurgence that we have seen ensue. This article thus aims to show how celestial stories act upon us – and upon the project – as we seek to (re)interpret them in an Indigenous and collaborative cinematic work of unprecedented scope.


Marjolaine McKenzie


Le ciel des prairies



Rêver le futur

J. D. Kurtness