“What are you hungry for?” Le cannibalisme dans Grave de Julia Ducournau

“What are you hungry for?1Slogan d’une des affiches promotionnelles américaines du film de Julia Ducournau.” Le cannibalisme dans Grave de Julia Ducournau

Coline Fournier

Coline Fournier est étudiante en Master 2 en Lettres, arts et sciences humaines à l’Université Paris Cité. Après la rédaction d’un mémoire de recherche sur la sororité et la violence chez Virginie Despentes et Julia Ducournau, elle s’intéresse désormais aux relations entre écriture contemporaine et narration polyphonique dans les romans de Wendy Delorme et Virginie Despentes.

Justine et Alexia se dévorent l’une l’autre, elles sont sœurs et soupirent de contentement, de satiété, sous les yeux médusés de leurs camarades de classe. Le film est bientôt fini et la scène paraît abjecte, mais témoigne également du plus beau moment de sororité de Grave, tout en sous-tons violets, au petit matin, entre chien et loup (fig. 1).

Figure 1.
Photogramme extrait du film Grave (Julia Ducournau, 2016). Alexia (Ella Rumpf) et Justine (Garance Marillier) se dévorent le bras devant les yeux de leurs camarades de l’école vétérinaire. © Frakas Productions, Rouge International, Petit film.

En 2016, la 69ème édition du Festival de Cannes offre dans ses différentes sélections trois films traitant du cannibalisme : en compétition officielle, Nicolas Winding Refn et Bruno Dumont présentent respectivement The Neon Demon et Ma Loute, deux films comportant des scènes d’anthropophagie. Grave2Grave, Julia Ducournau, 2016, 98 minutes, Wild Bunch, Frakas Productions, Rouge Distribution., premier long-métrage de Julia Ducournau concourant pour la Caméra d’Or, propose à la Semaine de la Critique une confrontation directe aux thématiques et à l’esthétique cannibale, à travers le parcours de Justine, jeune végétarienne qui rejoint sa sœur aînée en école vétérinaire et se découvre un appétit cannibale. Issue d’un parcours littéraire et passée par le département scénario de La Fémis, la réalisatrice s’était déjà illustrée à Cannes en 2011 : son court-métrage Junior racontait le trouble pubertaire de Justine, collégienne rebelle découvrant sur sa peau une mue poisseuse, et préfigurait les thématiques du cinéma de genre explorées par Grave. Dans le long-métrage de Ducournau, le récit initiatique est contrarié et ponctué par des épreuves pour Justine, personnage vierge au nom sadien : cohabitation complexe avec ses congénères, ingestion de chair animale, dégustation accidentelle du doigt de sa sœur aînée, découverte des plaisirs sexuels, et questionnements sur son humanité au regard de sa nouvelle identité cannibale. Le sujet tabou et son traitement viscéral confèrent à Julia Ducournau une importante notoriété : projeté au festival du film fantastique de Gérardmer puis au festival de Toronto, le film fait s’évanouir des spectateur.ices et fait parler la presse, qui le compare au difficilement soutenable Cannibal Holocaust de Ruggero Deodato et entoure Grave d’un parfum de scandale et d’hémoglobine. Dans cet article, nous nous intéresserons au fait cannibale chez Ducournau et au regard que porte la réalisatrice sur ses personnages et leurs actions anthropophages, ainsi qu’au sort – scénaristique et moral – qu’elle leur réserve. Nous retracerons d’abord les appartenances génériques et la généalogie horrifique du long-métrage, oscillant entre emprunts à l’iconographie (stéréo)typique de la cannibale et esthétique haptique du cinéma de genre contemporain, puis nous nous interrogerons sur la fonction du cannibalisme dans Grave : à la fois métaphore et élément de contexte et de décor, il met en exergue les remous identitaires de Justine, que nous envisagerons en relation avec l’ambition de Ducournau de raconter un cannibalisme métaphysique. Enfin, nous poserons l’hypothèse que la spécificité du film réside dans l’exploration du lien trouble entre Justine et Alexia, deux sœurs de sang reliées et déchirées par un même mal atavique. 

Généalogies : ce que Julia Ducournau fait au / du cannibalisme 

Les films de Julia Ducournau sont souvent comparés à ceux de David Cronenberg, dont l’appétence pour la transformation et la mutation corporelle a fondé le registre du body horror3Sous-genre du cinéma d’horreur qui se concentre sur les mutations horrifiques du corps humain et sur le franchissement des limites du corps.  : si la réalisatrice assume son goût pour le cinéaste canadien, le cinéma de Cronenberg n’est pas spécialement cannibale et la comparaison est moins probante pour Grave que pour Titane, son second-long métrage sorti en 2021, lu comme un hommage à Crash. En étroite relation avec la grammaire du body horror, il pourrait être tentant de ranger le cinéma de Ducournau dans la catégorie de films de la « New French Extremity4Voir James Quandt, « Flesh & Blood : Sex and Violence in Recent French Cinema », Artforum, vol. 42, nº6, février 2004, <www.artforum.com>, page consultée le 3 novembre 2022. » telle que l’a établie le critique James Quandt au début des années 2000 dans son regroupement de cinéastes comme Bruno Dumont ou Gaspar Noé, dont l’œuvre est marquée par des « paysages de chair écorchée5« landscapes of flayed flesh » (notre traduction), ibid. », résultant d’une « vague croissante des tactiques de choc dans le cinéma français6« a growing vogue for shock tactics in French cinema » (notre traduction), ibid. ». Cette catégorie massive concerne une trop grande diversité de cinéastes et s’avère trop datée pour que l’on puisse y classer sans problème la réalisatrice de Grave : il s’agira plutôt ici de lier Julia Ducournau à des films d’horreur et de genre français, et d’examiner la spécificité cannibale de ses films, en relation avec les différentes généalogies cinématographiques qu’elle appelle. 

La classification de New French Extremity et les analyses qui l’emploient distinguent plusieurs généalogies du cinéma de genre. En 2016, Alexandra West étudie la veine cannibale de ce registre cinématographique dans son ouvrage Films of the New French Extremity7Alexandra West, « Fine Young Cannibals: Trouble Every Day and In My Skin », Films of the New French Extremity. Visceral Horror and National Identity, Jefferson, McFarland & Company, Inc., 2016. , et se centre particulièrement sur Trouble Every Day de Claire Denis et Dans ma peau de Marina de Van, respectivement réalisés en 2001 et 2002. Dans leurs films, ces deux réalisatrices issues de La Fémis représentent des héroïnes féminines en proie à un mal cannibale – voire autophagique – qui les dévore, et figent une image de la cannibale au corps dénudé, au visage ensanglanté dont la chair se voit triturée, dans un mélange de sensualité et de destruction, à travers des regards frontaux ou obliques (fig. 2 et 3).

Chez Ducournau, le personnage de Justine – dont la réalisatrice rappelle qu’elle veut « filmer à hauteur d’elle8Fausto Fausulo, « Entretien avec Julia Ducournau », Bonus du DVD de Grave, 2017.  » – découvre en même temps que le.a spectateur.ice le monde effrayant qui se déroule sous ses yeux, et s’oppose ici au personnage d’Alexia, sa sœur aînée, qui rentre plus aisément dans les codes du genre dessinés par les précédesseures de Ducournau : son visage est recouvert de sang et filmé de très près, elle terrorise les autres, et se nourrit en chassant, dans un stratagème incongru consistant à provoquer des accidents de voiture pour manger les victimes, dont le sang vient tacher son col blanc (fig. 4) et faire d’elle une figure mortifère en même temps que désirable. Le binôme sororal est ainsi ce qui distingue Julia Ducournau de Claire Denis et de Marina de Van, dans la mesure où il permet de dédoubler l’approche du cannibalisme, et sa représentation à l’écran. Du côté de Justine, le parti pris de la réalisatrice est clair : il s’agit d’éprouver le cannibalisme par une focalisation interne, par une expérimentation viscérale des conséquences physiologiques de l’acte cannibale. Ducournau prend alors le contre-pied des habituelles fascinations morbides du cinéma de genre pour le monstre qui pointent du doigt l’extranéité du cannibale : 

Au cours d’une conversation sur le cannibalisme au cinéma avec Jean des Forêts [son producteur], je lui ai dit que ça me semblerait intéressant de mettre pour une fois les spectateurs dans les pompes de quelqu’un qui devient cannibale, qui rejette d’abord ce penchant, pour faire comprendre, justement, que les cannibales sont humains. Ce qui nous fait peur, c’est cette potentialité qu’il y a en nous9Timé Zoppé, « Julia Ducournau », TROISCOULEURS [En ligne], 23 avril 2019, <www.troiscouleurs.fr>, page consultée le 3 novembre 2022..

L’ambition affichée de Julia Ducournau de s’axer sur l’humanité de l’acte du cannibalisme est particulièrement visible dans la scène de la première dégustation anthropophage du film : Justine, par un concours de circonstances, mange le doigt de sa sœur Alexia. La réalisatrice joue avec les clichés du genre : dans la « finger scene » de Grave – telle que la bande-originale de Jim Williams, mi-clavecin mi-guitare électrique, la nomme10Jim Williams, « Finger scene », Raw (Original Motion Picture Soundtrack), ℗ 2017 Back Lot Music, pour Universal Studios Music LLLP, 10 mars 2017, <www.youtube.com>, page consultée le 2 novembre 2022. –, le moment clef de l’ingestion du doigt appétissant est ralenti, distendu, par un long face-à-face entre Justine et le bout de chair pendant, vernis à ongles incarnat, qui était quelques secondes auparavant un membre vivant de sa sœur aînée. L’héroïne sent le sang couler, le lèche machinalement, puis se met, comme en réflexe, à le sucer, à en découvrir le goût, à le mordiller un peu et finit par le manger, en se tachant le nez avec le sang de sa sœur (fig. 5). 

Figure 5.
Photogramme extrait du film Grave (Julia Ducournau, 2016). Après un accident d’épilation, Justine lèche, suce et mange le doigt de sa sœur aînée Alexia.
© Frakas Productions, Rouge International, Petit film.

Le dernier plan de cette scène montre une larme qui roule sur la joue d’Alexia, car le tabou a été bafoué, l’interdit a été franchi : Justine a mangé son doigt. Alexia a tenté de façonner Justine à son image en lui épilant le maillot contre son gré, ce que la sœur cadette lui a rendu à sa façon, en lui grignotant le doigt : ce geste, à la fois interdit et désirant, est celui d’une identification extrême à la chair de sa sœur, qui ressemble à la sienne, sa « sœur sanguine11Je reprends cette expression poétique à l’autrice Rébecca Chaillon, qui évoque ainsi ses sœurs biologiques, en comparaison avec ses sœurs « choisies ». Voir Rébecca CHAILLON, « Et j’ai vu beaucoup de soleils se coucher » dans Chloé Delaume [dir.], Sororité, Paris, Points, 2021p. 178. ».

Dans la lignée de Marina de Van, qui tournait vers l’intériorité (« ma ») l’exploration autophage de son héroïne Esther dans Dans ma peau, Julia Ducournau propose dans son film l’idée d’un diapason entre spectateur.ice et cannibale, à travers des gros plans et l’usage d’une caméra fixée à la hauteur de Justine, qui étouffe et évolue constamment avec elle. La chercheuse et théoricienne du cinéma Iris Brey s’intéresse à cet aspect du film dans son livre Le Regard féminin quand elle souligne la proximité de la caméra de Ducournau avec le corps de son héroïne : « Tout en refusant les codes du male gaze du cinéma de genre […], Julia Ducournau cherche à s’approcher au plus près du pouls de son héroïne. Un pouls qui donne son rythme au film et sur lequel il devient impossible de ne pas se synchroniser12Iris Brey, Le Regard féminin. Une révolution à l’écran, Paris, L’Olivier, 2020, p. 208. ». La synchronisation entre le film et l’expérience de visionnage est mise en exergue par l’usage d’une esthétique haptique, d’une sensation tactile au sein du film, telle que Sophie Walon la définit dans son article sur « Le toucher dans le cinéma français des sensations13Sophie Walon, « Le toucher dans le cinéma français des sensations », Entrelacs [En ligne], nº 10, 12 septembre 2013, <journals.openedition.org>, page consultée le 28 novembre 2022. » en 2013. Au travers d’un montage sonore qui amplifie le son du gargouillement du ventre de Justine ou le son d’une main plongée dans un bac de steak hachés en sauce et d’une insistance sur des sensations dont le.a spectateur.ice reconnaît immédiatement le caractère physiologiquement éprouvant, comme le vomi épuisant de touffes de cheveux (fig. 6 et 7), la réalisatrice rend poreuse la distinction entre écran et réel, et immerge les spectateur.ices dans l’arrivée de Justine au cannibalisme, ressentie dans son corps, à travers les pores de sa peau et les liquides qui l’entourent (urine, vomi, sang, etc.14Voir Frédéric Astruc, Martyrs de Pascal Laugier. Mélancholie du chaos, Rouge Profond, coll. « Raccords », 2018. L’auteur évoque l’opposition entre la violence liquide (les effusions de sang et de liquides corporels) et la violence sèche et aride de la torture finale du film. ). 

Si la chair est montrée crue, à vif, dans un rapport très direct avec le.a spectateur.ice, Ducournau renforce la médiation de l’écran – redoublé par l’image brouillée d’un écran de téléphone, au moment où Justine découvre a posteriori que sa sœur l’a forcée à jouer avec de la chair humaine dans une morgue, lors d’une soirée (fig. 8) – et s’inscrit dans une esthétique que Tim Palmer nomme « crasseuse15« Their film […] used the DV format […] while replicating the grimy, free-form, black-and-white cinematography of a low budget, impromptu documentary » (notre traduction), Tim PALMER, « Style and Sensation in the Contemporary French Cinema of the Body », Journal of Film and Video, vol. 58, nº 3, automne 2006, Université d’Illinois, p. 22-32. » (« grimy ») dans son analyse sur le format numérique de Trouble Every Day.

Figure 8.
Photogramme extrait du film Grave (Julia Ducournau, 2016). Un étudiant montre à Justine ce qu’elle a fait la veille : à travers un écran de téléphone, elle se revoit jouer avec de la chair humaine dans la morgue, sous les ordres d’Alexia.
© Frakas Productions, Rouge International, Petit film.

L’importance du régime haptique, de la matérialité et des liquides dans Grave tend le film vers une autre généalogie plus large de films d’horreur16Le film abandonne la catégorie des films « gore », dont Philippe Rouyer rappelle qu’ils « revendique[nt] explicitement les artifices qui le constituent » : chez Ducournau, le film dose les quantités de sang pour faire vrai, et la réalisatrice ira même plus loin dans Titane, en abandonnant totalement l’hémoglobine, remplacée par un liquide-essence noir. Voir Philippe Rouyer, Le Cinéma gore, une esthétique du sang, Paris, Cerf, coll. « 7e art », 1997, p. 14.  dont l’expérience de visionnage est plus dérangeante que ceux de Denis ou de De Van. Le trait d’union entre les différentes filiations que convoque Ducournau peut être l’acteur Laurent Lucas, incarnant le père de Justine et Alexia dans Grave et comédien présent dans de nombreux films de genre des années 2000. En effet, Calvaire de Fabrice du Welz – plongée infernale dans un village des Ardennes – témoigne d’un glissement progressif vers l’horreur procédant de micro-phénomènes de défamiliarisation, de faits bizarres, tels que le travestissement forcé de Laurent Lucas en Gloria, ou la quête répétitive d’une chienne disparue dans la forêt. Dans Grave, le cannibalisme est entouré de micro-phénomènes annonciateurs du drame (la minuscule goutte de sang tombe un peu trop tôt sur la blouse blanche de Justine [fig. 9]) et est rappelé par des instants de révulsion éprouvants pour les spectateur.ices, comme la langue d’une étudiante qui lèche l’orbite d’un œil (fig. 10), ou la torsion contre-intuitive de la patte du chien dans la morgue (fig. 11). 

Le binôme féminin formé par Alexia et Justine peut aussi évoquer Martyrs, de Pascal Laugier, où la traque et la home invasion ultraviolentes par Anna et Lucie (qui vient de tuer une famille entière) sont contrebalancées par des scènes de soin dans la salle de bain, témoignant de l’attachement que se portent les deux femmes, à la manière de la scène de douche finale de Grave, marquée par l’eau et le sang qui coulent et se mélangent ensemble. Les différentes influences convoquées par la réalisatrice décalent la classification horrifique initiale : Julia Ducournau se place dans une filiation de films instaurant des décalages avec la norme et une violence sourde, et y ajoute le fait cannibale dans un but métaphysique, afin d’amplifier les questionnements identitaires de Justine.

Figure 12.
Photogramme extrait du film Grave (Julia Ducournau, 2016). Au moment où elle perd sa virginité avec son colocataire Adrien (Rabah Naït Oufella), Justine plante ses dents dans son avant-bras et jouit en regardant la caméra.
© Frakas Productions, Rouge International, Petit film.

Métaphore, contexte, décor : pourquoi le cannibalisme ?

Le film de Julia Ducournau peut être lu avec une approche sociale, dans laquelle il serait une fable sur le danger des bizutages estudiantins dans le contexte des grandes écoles. Martine Beugnet et Emmanuelle Delanoë-Brun insistent sur ce point dans leur article17Martine Beugnet et Emmanuelle Delanoë-Brun, « Raw Becomings : Bodies, Discipline and Control in Julia Ducournau’s Grave », French Screen Studies, vol. 21, nº 3, 3 juillet 2021, p. 205., en explicitant l’aspect hétérotopique de l’école vétérinaire, ainsi que sur l’état d’exception dans lequel sont plongé.e.s les étudiant.e.s : en cela, le cannibalisme ne serait qu’une dérive désastreuse du bizutage, forme extrême d’entrée dans l’âge adulte. Dans ce contexte, les sœurs cannibales incarneraient un énième fait divers, très poussé et très violent, qui les verrait se déchirer puis se retrouver, chargé de toute l’iconographie de la dévoration et de l’ingestion qui lui est habituellement accolé : les premières scènes de bizutage tendent vers ce sens, notamment lors d’une scène de becquée particulière, où c’est Alexia qui doit enfoncer le rein de lapin cru dans la bouche de Justine, fermement végétarienne par tradition familiale. Le cannibalisme serait alors une forme de décor, un contexte sur lequel implanter une histoire sororale18Julia Ducournau s’exprime sur l’origine des personnages des sœurs dans Grave au micro de Fausto Fausulo en disant que « tout faisait sens en les rendant sœurs », alors qu’elles étaient, dans les premières versions du scénario, de simples camarades de classe., mais aussi une histoire de découverte de soi, de découverte de sa sexualité et de sa faim, quelle qu’elle soit. En cela, Julia Ducournau fait de son film un « crossover19Aurélien Ferenczi, « Cannes 2016 – De La Fémis à Grave, le parcours saignant de Julia Ducournau, révélation cannoise », Télérama [En ligne], 17 mai 2016, <www.telerama.fr>, page consultée le 3 novembre 2022. » à la jonction du film d’horreur et de la comédie dramatique, du teen movie et du giallo aux couleurs acidulées, à la manière dont la réalisatrice de Jennifer’s Body en 2009 a mélangé comédie de campus étudiant et meurtres horrifiques ou à la manière dont la réalisatrice de Knives and Skinen 2019 emploie la palette chromatique des néons fluorescents et une composition de plans très esthétique pour son enquête de disparition d’une adolescente. Si l’on comprend le parcours de Justine comme celui d’un récit d’apprentissage tendant à l’entrée dans l’âge adulte, alors le cannibalisme prendrait le rôle d’un rite initiatique parmi d’autres : sa lecture à même la peau de Justine, qui pèle et qui squame, qui réclame de la nourriture, qui gargouille dans l’obscurité, serait une façon de faire apparaître l’arrivée de Justine au monde des grand.e.s, de mettre en exergue sa prise de conscience de son humanité. Une des scènes de danse du film montre Justine seule face à son miroir, s’enduisant les lèvres de rouge et ondulant, en robe, au son de la chanson « Plus pute que toutes les putes » du groupe de rap français ORTIES : celle qui, face à ses camarades vétérinaires médusé.e.s, avait évoqué plus tôt la capacité des singes à reconnaître leur identité face à un miroir, se reconnaît ici aussi, et découvre sa sensualité, ou son humanité. Elle s’embrasse et se lèche, elle-même, tachant le miroir de rouge carmin qui ne peut qu’évoquer le sang qui coule, sur ses proies ou d’elle-même. En effet, dans Grave, le cannibalisme peut être allégorisé par le flot du sang qui s’écoule : il dévale des lèvres de Justine quand elle saigne du nez en regardant Adrien, et que la faim se fait tiraillement, obsession d’une première fois sexuelle dans laquelle le soupçon anthropophage n’est jamais loin. La « première fois » de Justine avec Adrien prend le son d’une frénésie, se situant après avoir mordu un étudiant lors d’une fête et après avoir prononcé les trois mots-clefs (« c’est grave ») : elle fait l’amour avec Adrien, et jouit en finissant par se mordre le bras (fig. 12). 

Le sang qui coule marque à la fois l’acte rituel de l’arrivée à la sexualité et celui de la faim cannibale qui s’empare de Justine : la référence à Georges Bataille sous-tend particulièrement cette scène, qui illustre la porosité entre dévoration amoureuse et dévoration littérale, ainsi que l’auteur la mettait à jour dès les années 1950 en disant que « le baiser est le début du cannibalisme20Georges Bataille, L’Érotisme, Paris, Éditions de Minuit, 1957. ». Ainsi, le corps-cannibale de Justine devient peu à peu une métaphore de la maturation sexuelle, du mûrissement de Justine qui passe de l’enfance à l’âge adulte. Elle commence, sœur cadette, à l’arrière de la voiture de ses parents, et finit par triompher d’Alexia, lui faisant prendre une douche expiatoire, lui pardonnant alors même qu’elle a mangé son colocataire. Le refus de tout déterminisme semble passer par l’étape nécessaire du cannibalisme et de ses variations (sang qui coule, chair à vif) afin de montrer l’idéologie d’anti-fixité qui anime Julia Ducournau : le film est traversé par deux courants qui insistent alternativement sur le mouvement d’animalisation de Justine, puis sur sa profonde humanité. Martine Beugnet et Emmanuelle Delanoë-Brun évoquent à ce propos dans leur article le concept de « devenir-animal ». Cette mutation, qui « libère des pulsions voraces aussi bien plaisantes que menaçantes21« A metamorphosis that unleashes pleasurable as well as threatening voracious urges » (notre traduction), Martine Beugnet et Emmanuelle Delanoë-Brun, « Raw Becomings : Bodies, Discipline and Control in Julia Ducournau’s Grave », loc. cit., p. 210. » fait passer les héroïnes cannibales de Ducournau dans diverses positions, divers rôles, toujours animaliers : avant de se mordre le bras mutuellement, les sœurs sont tenues en laisse par leurs camarades, sont des chiens fous animalisés dans la masse des étudiant·es vétérinaires qui évoluent en constante proximité avec les animaux. Le devenir-animal tel qu’il est théorisé par Deleuze et Guattari dans Mille Plateaux en 1980 pose l’idée d’une anti-fixité et d’un dérangement, d’une transgression : cette dernière passe par la mise en scène et l’iconographie du cannibalisme, révulsion taboue, mais également par la confusion même des espèces. Dans Grave, le contexte vétérinaire et l’omniprésence des animaux – qu’ils soient sujets d’étude en amphithéâtre, animaux de compagnie ou cadavres gardés dans des bols de formol – mènent les spectateur·ices à considérer, petit à petit, le personnage de Justine comme autre chose qu’une vétérinaire, qu’une cannibale : elle devient autre, et menace les spectateur·ices et ses camarades par son regard oblique, dans une position étrangement désinvolte (fig. 13). 

Figure 13.
Photogramme extrait du film Grave (Julia Ducournau, 2016). Justine scrute les élèves lors d’une fête étudiante, les yeux baissés et les jambes écartées. Elle porte la robe qu’elle avait empruntée à sa sœur.
© Frakas Productions, Rouge International, Petit film.

Dans le mouvement contraire, il semble crucial, pour que le film de Ducournau fonctionne, qu’elle conserve la profonde nature humaine de Justine, par un mécanisme d’identification auquel le·a spectateur·ice revient : ici, le propos cannibale sert justement à marquer sa dimension humaine, et l’idée abjecte de manger son prochain permet d’interroger notre regard sur la monstruosité possible de Justine. La réalisatrice semble vouloir éprouver à l’écran ce que l’anthropologue Eduardo Viveiros de Castro expose dans son ouvrage Métaphysiques cannibales : il s’agirait d’expérimenter un « cogito cannibale22Eduardo Viveiros de Castro, Métaphysiques cannibales, Presses Universitaires de France, coll. « MétaphysiqueS », 2009.  », et de se mettre à la place, sans compromis ni jugement, d’un.e anthropophage. Le titre – qui intervient après le prologue et après la scène finale – et sa disposition en cinq lettres rouges, qui occupent tout l’écran, font alors référence à la finalité philosophique du cannibalisme : il s’agit ici d’une question de gravité, de lourdeur existentielle et d’interrogation sur le propre de la nature humaine plutôt que d’un adjectif sur la qualité de l’acte anthropophage réalisé par une adolescente emmêlée dans une histoire familiale dont elle peine à se défaire. 

Des sœurs de sang qui s’arrachent l’une à l’autre

La couverture de la pochette de la bande-originale du film Grave de Julia Ducournau en dit long sur la façon dont le cannibalisme va être envisagé dans le film : au-delà d’une approche esthétique sanglante, la réalisatrice le pose comme le fondement de l’histoire sororale qu’elle souhaite raconter. En effet, l’illustration de Candice Tripp montre deux corps en morceaux qui « doivent s’arracher l’un à l’autre23Timé Zoppé, « Julia Ducournau », loc. cit. », dont la circularité ne permet pas d’imaginer qu’il puisse exister un monde sans l’une des deux (fig. 14).

Figure 14.
Couverture de la bande-originale du film Grave (Julia Ducournau, 2016), composée par Jim Williams et dessin de Candice Tripp. Deux corps de femmes en poupées se découpent et s’entre- dévorent.
© Focus Features LLC, Back Lot Music, Universal Studios Music LLLP.

Le cannibalisme de Grave permet de souligner les rapports de violence et de passion qui unissent Alexia et Justine. D’abord, le montage rapide du film de Ducournau permet de poser un contexte clair à cette histoire sororale : les quelques dialogues initiaux font très vite comprendre que Justine est la cadette et qu’elle cherche une approbation sororale de l’aînée, dans un contexte étudiant de bizutage où les deux sœurs incarnent deux positions sociales bien distinctes, séparées par une hiérarchie où Justine est une bizute et Alexia une vétérane24En Belgique, le bizutage est appelé « baptême estudiantin », une bizutée est surnommée une « bleuette » et une vétérane une « baptisée », voire une « togée » si elle est gradée et porteuse de toge. Le film a été tourné sur le campus de l’Université de Liège, où le comité d’intégration de l’école vétérinaire est connu pour son intensité et son respect des traditions, ce qui lui a valu plusieurs décès accidentels dans les dernières années. . Le montage rapide ne délaisse pourtant pas la progression de l’histoire, notamment du passage de Justine à l’acte cannibale : avant même le début de sa première année d’études supérieures, Justine, végétarienne stricte et affublée d’un t-shirt enfantin, manque d’emblée de croquer dans une boulette de viande. Cette rencontre évitée de justesse est suivie, lors de la période du bizutage, de l’ingestion forcée d’un rein de lapin cru : c’est la première fois qu’elle mange de la chair crue, et cette découverte réveille en elle une faim insatiable (« j’ai l’impression que mon ventre est toujours vide », dit-elle à la médecin). Puis, elle se sent intriguée par un steak de viande à la cantine, et est prise d’un appétit pour un kebab dans lequel elle croque voracement pour aller vers la dévoration de blanc de poulet cru, et enfin du doigt humain de sa sœur (fig. 15 à 20) : son appétit progresse crescendo.

Légendes des images en note25 De gauche à droite :
Figure 15.
Photogramme extrait du film Grave (Julia Ducournau, 2016). Dans la station-service, Justine s’étouffe en mangeant de la purée : elle manque de croquer dans une boulette et recrache son plat.
© Frakas Productions, Rouge International, Petit film.

Figure 16.
Photogramme extrait du film Grave (Julia Ducournau, 2016). Sur le campus en période de bizutage étudiant, Alexia enfonce de force un rein de lapin cru dans la bouche de Justine, qui refuse de le manger pour ses convictions végétariennes.
© Frakas Productions, Rouge International, Petit film.

Figure 17.
Photogramme extrait du film Grave (Julia Ducournau, 2016). Végétarienne depuis toujours, Justine plonge sa main dans un bac de steaks hachés au réfectoire de son école vétérinaire.
© Frakas Productions, Rouge International, Petit film.

Figure 18.
Photogramme extrait du film Grave (Julia Ducournau, 2016). Justine et Adrien sortent du campus pour aller manger un kebab. Justine dévore la brochette de viande et mange la bouche pleine.
© Frakas Productions, Rouge International, Petit film.

Figure 19.
Photogramme extrait du film Grave (Julia Ducournau, 2016). Devant le réfrigérateur ouvert, Justine hume une escalope crue et s’apprête à croquer dedans.
© Frakas Productions, Rouge International, Petit film.

Figure 20.
Photogramme extrait du film Grave (Julia Ducournau, 2016). Justine mange le doigt de sa soeur. © Frakas Productions, Rouge International, Petit film.

La lente progression de la faim va de pair avec un franchissement des limites de la relation sororale toujours plus poreuse, quasiment indéfinissable, car il n’y a pas besoin d’expliquer les disputes et les réconciliations, il n’y a parfois même pas besoin de mots pour comprendre leur ressemblance : l’objet-clef de la pommade, qu’on reconnaît d’une armoire à pharmacie à l’autre, établit un lien muet de la faim cannibale de l’une et de l’autre, elles qui sont reliées par une télépathie sororale, qui s’échangent des vêtements et qui se partagent tout, même leur propre chair, sans commentaire : 

C’est un amour fusionnel, dévorant, mais jamais sexuel. Ce que je trouve beau, c’est qu’entre deux soeurs il n’y a pas de honte ; c’est comme si on partageait le même corps. […] Ça me permet aussi de ne pas avoir à expliquer les circonvolutions de leurs relations. Entre sœurs, entre frères, on s’aime, on se déteste, on s’aime à nouveau26Timé Zoppé, « Julia Ducournau », loc. cit.

Dans Grave, le cannibalisme des deux sœurs pose une question sur l’humanité des personnages et la réaction humaine au potentiel anthropophage qui sommeille en chacun.e de nous, sur la façon dont la bouche se colle à la chair d’autrui pour l’aspirer, la sucer, la manger peut-être. Mais le cannibalisme mis en scène par Julia Ducournau révèle un twist final : la dernière scène du film, après l’incarcération d’Alexia et le retour aux normes familiales de Justine, montre le père de Justine lui exhibant les cicatrices de son torse, causées par la faim cannibale de la mère des deux sœurs. La musique grave retentit, et les quelques mots de clôture résonnent aux oreilles de Justine : « Je suis sûr que tu trouveras une solution, ma puce », dit le père à sa fille. Dès lors, le cannibalisme n’est plus un mal que les sœurs partagent, qui les exclut des autres camarades et même d’Adrien, c’est un héritage lourd à porter, qui les ramène à leur stade primaire, à une donnée atavique, une transmission générationnelle qui les alourdit : ainsi, la morsure de Justine envers elle-même et non envers Adrien, la façon dont elle tente de prouver que « c’est pas pareil, tu [Alexia] fais ton truc, moi [Justine] j’ai pas besoin, c’est tout » laissent supposer l’idée de la fin du déterminisme, l’arrêt net de cette mutation qui les prend et les torture : 

Je voulais que le cannibalisme devienne un geste punk contre le patriarcat, contre l’establishment qu’instaure le bizutage, et contre le mouvement de moutons dans lequel tout le monde fait la même chose. […] Je me suis concentrée sur le fait que ces deux sœurs étaient vraiment uniques, et, pour moi, c’est comme si deux personnes habillées en rouge se reconnaissaient l’une l’autre dans une mer bleue : “Oh, t’es en rouge aussi. Putain ! Je pensais te connaître, mais en fait non”27« I wanted the cannibalism to become a punk gesture against the patriarchy, against the establishment that is hazing, and against the sheep-like movement of everyone doing the same thing […] I focused on the fact that these two sisters were really unique, and for me it’s like two people dressed in red recognizing each other in a blue sea. “Oh, you’re in red as well. What the fuck? I thought that I knew you but I didn’t” » (notre traduction), Margaret Barton-Fumo, « Pleasures of the flesh », Film Comment, Screen Studies Collection, vol. 53, nº 2, avril-mai 2017. .

C’est peut-être en cela que l’approche du cannibalisme par Julia Ducournau dans Grave diffère de ce qui a pu déjà être écrit ou réalisé sur la question : malgré son attrait pour la cinématographie extrême, elle refuse le sensationnalisme sur l’identité de cannibale, et préfère montrer l’entremêlement complexe des relations sororales entre Justine et Alexia, poussées à bout par le mal atavique qu’elles se partagent en héritage, et par les blessures, littérales ou figurées, qu’elles s’infligent. Ce qui compte, ce sera plutôt l’entre-dévoration des personnages qui ne parviennent pas à se défaire l’une de l’autre, parfois même sans que le cannibalisme ne soit directement évoqué à l’écran28La lourdeur de l’influence des marquages identitaires concerne aussi le personnage d’Adrien, qui voit son identité sexuelle cannibalisée par les étiquettes que sont l’hétérosexualité et l’homosexualité : se présentant à Justine comme « gay » et embrassant des garçons dans une soirée étudiante, il finit par faire l’amour avec Justine à la fin du film, et semble être un objet de convoitise (amoureuse ? cannibale ?) aux yeux d’Alexia.  : un des derniers plans de Gravemontre tout à fait ce trouble d’identité sororal, dans un visage informe composé des deux visages des sœurs (fig. 21), que Julia Ducournau définit comme l’« appar[ition d’] un troisième visage, comme si leur “entre-dévoration” avait donné naissance à un troisième être29Guillemette Odicino, « Julia Ducournau : “J’essaye de faire des films indéfinissables” », Télérama [En ligne], 13 juillet 2021, <www.telerama.fr>, page consultée le 2 novembre 2022. », marqué par les cicatrices de la joue de Justine et le doigt manquant d’Alexia. Quand cette dernière embrasse la cicatrice de la joue de Justine (fig. 22), elle met une image sur cette proximité troublante entre la pulsion de mort et la pulsion de vie, entre la façon d’aimer les siens et de s’en sentir si proche qu’on en vient à les embrasser, les mordre, les dévorer.

Conclusion

En définitive, nous avons montré dans cette étude de Grave de Julia Ducournau que la thématique cannibale était un support multiple : utilisée comme ressort visuel l’ancrant dans une lignée de films de genre aux codes précis, elle est également le lieu sur lequel placer une histoire d’amour sororal intense, vivace, faite de chair à vif et de hiérarchie anthropophage. Enfin, la figure cannibale chez Ducournau est aussi bien lisible comme élément de décor extrême d’un bizutage estudiantin que comme symptôme d’une philosophie anti-essentialiste, où l’on retrouve l’obsession ducornalienne pour la mutation, le mouvement, la mue. Cet intérêt pour la « métamorphose de l’être30Timé Zoppé, « Julia Ducournau », loc. cit. » révèle à quel point le cannibalisme, bien qu’étant un ressort central du long-métrage de Ducournau, est une façon pour la réalisatrice d’approcher une intangibilité du corps humain, un refus de l’essence humaine. En cela, la parenté qu’elle tisse (par les prénoms, par des images et des clins d’œil) entre ses films fait d’elle plus qu’une cinéaste du cannibalisme : la figure de cyborg d’Alexia dans Titane, son second long-métrage, Palme d’Or à Cannes en 2021, en dit encore plus sur le refus de la fixité, à partir du moment où elle quitte l’espèce humaine pour devenir autre chose, pour se métamorphoser constamment, sans l’aide – visuelle ni scénaristique – d’un contexte cannibale.

  • 1
    Slogan d’une des affiches promotionnelles américaines du film de Julia Ducournau.
  • 2
    Grave, Julia Ducournau, 2016, 98 minutes, Wild Bunch, Frakas Productions, Rouge Distribution.
  • 3
    Sous-genre du cinéma d’horreur qui se concentre sur les mutations horrifiques du corps humain et sur le franchissement des limites du corps. 
  • 4
    Voir James Quandt, « Flesh & Blood : Sex and Violence in Recent French Cinema », Artforum, vol. 42, nº6, février 2004, <www.artforum.com>, page consultée le 3 novembre 2022.
  • 5
    « landscapes of flayed flesh » (notre traduction), ibid.
  • 6
    « a growing vogue for shock tactics in French cinema » (notre traduction), ibid.
  • 7
    Alexandra West, « Fine Young Cannibals: Trouble Every Day and In My Skin », Films of the New French Extremity. Visceral Horror and National Identity, Jefferson, McFarland & Company, Inc., 2016. 
  • 8
    Fausto Fausulo, « Entretien avec Julia Ducournau », Bonus du DVD de Grave, 2017. 
  • 9
    Timé Zoppé, « Julia Ducournau », TROISCOULEURS [En ligne], 23 avril 2019, <www.troiscouleurs.fr>, page consultée le 3 novembre 2022.
  • 10
    Jim Williams, « Finger scene », Raw (Original Motion Picture Soundtrack), ℗ 2017 Back Lot Music, pour Universal Studios Music LLLP, 10 mars 2017, <www.youtube.com>, page consultée le 2 novembre 2022.
  • 11
    Je reprends cette expression poétique à l’autrice Rébecca Chaillon, qui évoque ainsi ses sœurs biologiques, en comparaison avec ses sœurs « choisies ». Voir Rébecca CHAILLON, « Et j’ai vu beaucoup de soleils se coucher » dans Chloé Delaume [dir.], Sororité, Paris, Points, 2021p. 178.
  • 12
    Iris Brey, Le Regard féminin. Une révolution à l’écran, Paris, L’Olivier, 2020, p. 208.
  • 13
    Sophie Walon, « Le toucher dans le cinéma français des sensations », Entrelacs [En ligne], nº 10, 12 septembre 2013, <journals.openedition.org>, page consultée le 28 novembre 2022.
  • 14
    Voir Frédéric Astruc, Martyrs de Pascal Laugier. Mélancholie du chaos, Rouge Profond, coll. « Raccords », 2018. L’auteur évoque l’opposition entre la violence liquide (les effusions de sang et de liquides corporels) et la violence sèche et aride de la torture finale du film. 
  • 15
    « Their film […] used the DV format […] while replicating the grimy, free-form, black-and-white cinematography of a low budget, impromptu documentary » (notre traduction), Tim PALMER, « Style and Sensation in the Contemporary French Cinema of the Body », Journal of Film and Video, vol. 58, nº 3, automne 2006, Université d’Illinois, p. 22-32.
  • 16
    Le film abandonne la catégorie des films « gore », dont Philippe Rouyer rappelle qu’ils « revendique[nt] explicitement les artifices qui le constituent » : chez Ducournau, le film dose les quantités de sang pour faire vrai, et la réalisatrice ira même plus loin dans Titane, en abandonnant totalement l’hémoglobine, remplacée par un liquide-essence noir. Voir Philippe Rouyer, Le Cinéma gore, une esthétique du sang, Paris, Cerf, coll. « 7e art », 1997, p. 14. 
  • 17
    Martine Beugnet et Emmanuelle Delanoë-Brun, « Raw Becomings : Bodies, Discipline and Control in Julia Ducournau’s Grave », French Screen Studies, vol. 21, nº 3, 3 juillet 2021, p. 205.
  • 18
    Julia Ducournau s’exprime sur l’origine des personnages des sœurs dans Grave au micro de Fausto Fausulo en disant que « tout faisait sens en les rendant sœurs », alors qu’elles étaient, dans les premières versions du scénario, de simples camarades de classe.
  • 19
    Aurélien Ferenczi, « Cannes 2016 – De La Fémis à Grave, le parcours saignant de Julia Ducournau, révélation cannoise », Télérama [En ligne], 17 mai 2016, <www.telerama.fr>, page consultée le 3 novembre 2022.
  • 20
    Georges Bataille, L’Érotisme, Paris, Éditions de Minuit, 1957.
  • 21
    « A metamorphosis that unleashes pleasurable as well as threatening voracious urges » (notre traduction), Martine Beugnet et Emmanuelle Delanoë-Brun, « Raw Becomings : Bodies, Discipline and Control in Julia Ducournau’s Grave », loc. cit., p. 210.
  • 22
    Eduardo Viveiros de Castro, Métaphysiques cannibales, Presses Universitaires de France, coll. « MétaphysiqueS », 2009. 
  • 23
    Timé Zoppé, « Julia Ducournau », loc. cit.
  • 24
    En Belgique, le bizutage est appelé « baptême estudiantin », une bizutée est surnommée une « bleuette » et une vétérane une « baptisée », voire une « togée » si elle est gradée et porteuse de toge. Le film a été tourné sur le campus de l’Université de Liège, où le comité d’intégration de l’école vétérinaire est connu pour son intensité et son respect des traditions, ce qui lui a valu plusieurs décès accidentels dans les dernières années. 
  • 25
    De gauche à droite :
    Figure 15.
    Photogramme extrait du film Grave (Julia Ducournau, 2016). Dans la station-service, Justine s’étouffe en mangeant de la purée : elle manque de croquer dans une boulette et recrache son plat.
    © Frakas Productions, Rouge International, Petit film.

    Figure 16.
    Photogramme extrait du film Grave (Julia Ducournau, 2016). Sur le campus en période de bizutage étudiant, Alexia enfonce de force un rein de lapin cru dans la bouche de Justine, qui refuse de le manger pour ses convictions végétariennes.
    © Frakas Productions, Rouge International, Petit film.

    Figure 17.
    Photogramme extrait du film Grave (Julia Ducournau, 2016). Végétarienne depuis toujours, Justine plonge sa main dans un bac de steaks hachés au réfectoire de son école vétérinaire.
    © Frakas Productions, Rouge International, Petit film.

    Figure 18.
    Photogramme extrait du film Grave (Julia Ducournau, 2016). Justine et Adrien sortent du campus pour aller manger un kebab. Justine dévore la brochette de viande et mange la bouche pleine.
    © Frakas Productions, Rouge International, Petit film.

    Figure 19.
    Photogramme extrait du film Grave (Julia Ducournau, 2016). Devant le réfrigérateur ouvert, Justine hume une escalope crue et s’apprête à croquer dedans.
    © Frakas Productions, Rouge International, Petit film.

    Figure 20.
    Photogramme extrait du film Grave (Julia Ducournau, 2016). Justine mange le doigt de sa soeur. © Frakas Productions, Rouge International, Petit film.
  • 26
    Timé Zoppé, « Julia Ducournau », loc. cit.
  • 27
    « I wanted the cannibalism to become a punk gesture against the patriarchy, against the establishment that is hazing, and against the sheep-like movement of everyone doing the same thing […] I focused on the fact that these two sisters were really unique, and for me it’s like two people dressed in red recognizing each other in a blue sea. “Oh, you’re in red as well. What the fuck? I thought that I knew you but I didn’t” » (notre traduction), Margaret Barton-Fumo, « Pleasures of the flesh », Film Comment, Screen Studies Collection, vol. 53, nº 2, avril-mai 2017. 
  • 28
    La lourdeur de l’influence des marquages identitaires concerne aussi le personnage d’Adrien, qui voit son identité sexuelle cannibalisée par les étiquettes que sont l’hétérosexualité et l’homosexualité : se présentant à Justine comme « gay » et embrassant des garçons dans une soirée étudiante, il finit par faire l’amour avec Justine à la fin du film, et semble être un objet de convoitise (amoureuse ? cannibale ?) aux yeux d’Alexia. 
  • 29
    Guillemette Odicino, « Julia Ducournau : “J’essaye de faire des films indéfinissables” », Télérama [En ligne], 13 juillet 2021, <www.telerama.fr>, page consultée le 2 novembre 2022.
  • 30
    Timé Zoppé, « Julia Ducournau », loc. cit.