Amour maternel
Catherine Morency est poète (Les impulsions orphelines, Sans Ouranos, Les musées de l’air, Le jour survit à sa chute) et essayiste (Poétique de l’émergence et des commencements, Marie Chouinard chorégraphe, L’atelier de L’âge de la parole. Poétique du recueil chez Roland Giguère, La littérature par elle-même). Détentrice d’un doctorat en littératures de langue française (Université de Montréal) et d’un postdoctorat en recherche-création (UQAM), elle a œuvré dans les domaines de l’édition et de la critique avant d’occuper le poste de professeure en création littéraire et littérature québécoise à l’Université du Québec à Chicoutimi. Récipiendaire de nombreuses bourses et distinctions, elle a publié plusieurs articles et chapitres d’ouvrages tout en contribuant activement à la vie culturelle et artistique du Québec.
« Je veux parler d’un espace et d’un temps qui s’exercent avant les ires de la loi paternelle, avant l’ordre de la langue, avant les commencements de l’apprentissage du monde. »
Anne Dufourmantelle, La Sauvagerie maternelle
« J’ai beaucoup parlé de l’amour maternel puisque c’est le seul amour que je connaisse comme étant inconditionnel. C’est celui qui ne cesse jamais, qui est à l’abri de toutes les intempéries. Il n’y a rien à faire, c’est une calamité, la seule du monde, merveilleuse. »
Marguerite Duras, Le Monde extérieur
100 000 millilitres.
Une portion à blanc
prélevée à même le cap
entre les côtes.
Serpentent des rigoles
la lave se fraie un chemin
entre toutes crevasses.
Mon corps devenu volcan
tu puises le sel
le souffle de ton émergence.
La nuit tu hurles aux loups.
Une bête en moi sommeille
ne trouve pas d’apaisement.
L’absence de lumière révèle
les lentes heures à tarir.
Un flot s’écoule et nourrit
notre puits sans fond
abîme incalculable.
Nous reviendrons de ce carnage
éprouvés mais sereins.
Toi, foisonnant farfouilleur
moi, béante et pleine
d’une autre sève.
Après l’expression ardente
de mes sucs germera
une ouverture
nouvelle manière d’alimenter le sol
une humanité à la fois.
La maternité nous ancre disent certaines
d’autres croient qu’elle nous rive à la terre.
Je ne suis plus attachée
qu’au rythme de tes déglutitions
nocturnes, diurnes
jours et nuits se confondent.
Une table faste où s’étale
chacun de mes membres rompus
à repeupler les soifs.
À l’hôpital, on t’a d’abord emmené.
Sorti bleu de moi mauve
enfin pas la couleur normale
celle qu’on attend des poupons.
À peine frôlé mon sein
tu recrachais des entrailles.
Ils ont dit que tes poumons tiraient
mais sur qui? sur quoi?
Ils t’ont emmené et je suis restée
seule sur la table d’éviscération.
Le corps brûlé par la douleur
son chemin creusé dans l’aval.
Je me suis tenue droite
petit soldat de plomb
mère vigile en attente de son reste.
Le sang abattu par la peur du vide
le spectre ardent de ta disparition.
Puis ils t’ont ramené
tu avais choisi de vivre.
Les signes étaient clairs
sans équivoque.
Désinvolte, tu t’accrocherais à moi
comme à une paroi nourricière.
Sujette aux corrosions minérales
j’allais devoir apprendre
laisser passer le flux ascendant
le bourgeonnement des eaux.
Les jours les semaines les mois
ne sont plus qu’une histoire.
Le lait les langes les larmes
une vie solide soudain se dilue
une forme nous effleure.
Les nuits les veilles les cris
un fouissement perpétuel
nous pend aux paupières
se rit de nos corps ébréchés.
Tu consacres tes heures
à l’extraction du minerai
précieux tu investis le réseau
de tout ce qui circule en moi.
Agile prospecteur, tu navigues
entre peaux anses et galeries.
Chaque veine donne lieu
à un forage intuitif.
Contremaître d’une opération
chaque jour tu poursuis ta descente
dans mes derniers retranchements.
Le contact obstiné de tes lèvres
entraîne le choc de failles insondables.
Sous le maigre soleil de cet hiver pâle
quelque chose cède qui n’avait pas de nom.
Tu dors dans la chambre d’à côté
un amour renaît de ses cendres.