L’espace-temps de l’accompagnement chez la médecin-écrivaine Ouanessa Younsi

L’espace-temps de l’accompagnement chez la médecin-écrivaine Ouanessa Younsi

Cristina Robu
Indiana University

Cristina Robu a obtenu en 2018 un premier doctorat en théorie littéraire à l’Académie des Sciences de Moldavie, et est à présent doctorante au département de Français et d’Italien d’Indiana University à Bloomington. Elle travaille sur une thèse intitulée « La mise en récit du corps malade dans la littérature et le cinéma québécois contemporains : matière à (d)écrire ». Ses recherches se positionnent au croisement de la théorie littéraire et des humanités médicales et explorent la textualisation de la maladie d’autrui, ses chronotopes et ses retentissements sur le sujet narrant.

Si l’étymologie du verbe « accompagner » comporte un versant de partage et désigne l’action de « manger son pain avec1Anne-Marie Mottaz, « Accompagnement », dans Monique Formarier et Ljiljana Jovic (dir.), Les concepts en sciences infirmières, 2e édition, Lyon, Éditions Mallet Conseil, Association de Recherche en Soins Infirmiers, 2012, p. 42. », dans le contexte médical, ce partage signifie plus que les diverses formes de soin. C’est le geste et la parole, la présence et l’écoute dans un espace-temps qui peut être perçu comme inquiétant, voire hostile, par le·la patient·e. Pour Ouanessa Younsi, poétesse et autrice du récit d’autofiction Soigner, aimer (2016), mais également philosophe et psychiatre, l’accompagnement s’apprend et se construit tour à tour dans le paradigme du « chronotope du soin » (celui du·de la médecin) et dans celui du·de la patient·e2Peter Good, Language for Those Who Have Nothing: Mikhail Bakhtin and the Landscape of Psychiatry, New York, Kluwer Academic/Plenum, 2001, p. 23.. Dans le premier cas, c’est un espace-temps dans lequel elle pense, construit et explore ce qu’elle appelle des « patient·e·s de papier3Ouanessa Younsi, « Soigner, aimer », dans le cadre de « Littérature et médecine. Table ronde organisée par Figura-UdeM », Montréal, Université de Montréal, 30 avril 2019, [En ligne], http://oic.uqam.ca/fr/communications/soigner-aimer (page consultée le 13 janvier 2021). », par opposition aux patient·e·s qu’on pourrait nommer « de chair et d’os » qu’elle suit dans la réalité non-diégétique4Dès le début du recueil, il est noté sous forme de paratexte que : « Les textes qui suivent sont constitués d’histoires imaginées ou modifiées par souci de confidentialité. Tous les noms des personnages sont inventés, hormis celui de Denise, dont je suis la petite-fille. » Ouanessa Younsi, Soigner, aimer, Montréal, Mémoire d’encrier, 2016, p. 4. Les références à Soigner, aimer sont désormais abrégées en SA, suivi du numéro de page. Lors de la table ronde « Comment la littérature permet-elle de (re)créer des relations à “nos” mort·e·s ? » qui a eu lieu pendant la journée d’étude en ligne « Éthique et poétique du care dans la littérature contemporaine », le 17 avril 2021, Ouanessa Younsi a également indiqué qu’aucun·e de ses patient·e·s diégétiques n’est « complet·e » et que chacun·e est un assemblage de plusieurs parcours.. Dans le cas de la représentation du « chronotope du·de la patient·e », c’est à travers l’empathie et la compassion pour ses patient·e·s qu’elle passe de l’autre côté de la dyade. Cela est rendu possible en utilisant sa propre expérience de la maladie, qu’elle met en récit pour montrer la forme que peut prendre le soin, ainsi que l’accompagnement d’un proche malade, une forme de soin qui demande des pratiques et des émotions différentes. Dans le texte Soigner, aimer, Younsi construit ses identités narratives, de soignante et d’accompagnatrice en tissant ces aspects de sa vie et en situant le relationnel comme forme centrale du soin, dans la perspective de l’éthique du care5Voir Pascale Molinier, Sandra Laugier et Patricia Paperman (dir.), Qu’est-ce que le care ? Souci des autres, sensibilité, responsabilité, Paris, Payot & Rivages, 2012., qui envisage les sciences humaines, mais aussi la littérature et les arts en général, en tant qu’éléments-clés de la formation médicale. Tout en gardant sa position d’autorité médicale, Younsi l’investit d’un versant expérientiel et poétique, d’une forme de sensibilité qui lui permet de faire une chronique lucide et émouvante de son parcours professionnel double : médical et littéraire.

Dans cet article nous souhaitons suivre la construction complexe de la narratrice en tant qu’écrivaine et médecin, une dyade qui s’élabore à travers son rôle d’accompagnatrice dans le texte Soigner, aimer. Pour cela nous utiliserons le concept de chronotope littéraire proposé par Mikhaïl Bakhtine, qui le définit comme « la corrélation essentielle des rapports spatio-temporels, telle qu’elle a été assimilée par la littérature6Mikhaïl Bakhtine, Esthétique et théorie du roman, Paris, Gallimard, 1978, p. 237. ». Selon Bakhtine, la connexion entre ces deux dimensions « détermine l’unité artistique d’une œuvre littéraire dans ses rapports avec la réalité7Ibid., p. 384. ». Elle rend donc possible la représentation du monde tel qu’il est perçu par le·la narrateur·rice et permet de localiser les divers éléments qui le construisent, ainsi que les dynamiques éthiques, poétiques et politiques qui y sont représentées.

Inscrit dans l’espace clinique, le temps de la maladie devient autre, intensifié et fracturé. Pour Peter Good, qui explore la spatiotemporalité dans la psychiatrie, il existe deux chronotopes distincts : celui du soin/care – « care chronotope », que nous appellerons « chronotope du soin » – et, d’un autre côté, le « chronotope du·de la patient·e ». Good caractérise le premier chronotope comme étant un « highly visible construct made up by a variety of practitioners and official spaces8Peter Good, op. cit., p. 23. », et le second comme formé de « time that moves in different directions and […] spaces that can conjure up quite unexpected encounters9Ibid, p. 28. ». Cette vision dialectique du chronotope sous-entend que l’espace-temps du soin et celui du·de la patient·e sont connectés mais opposés, avec des visions et des mises en récit qui correspondent aux actants de ces deux pôles. Pour explorer ces deux versants et la possibilité d’une île spatiotemporelle nouvelle – celle de l’accompagnement – nous ferons une courte analyse de la mise en récit de la maladie dans le texte de Younsi et nous nous proposerons de situer tout particulièrement les formes du « chronotopede l’accompagnement » qui offre une vision de la relation de soin.

Le recueil de 19 textes10Le recueil est composé de 17 textes avec un épilogue et un prologue. Soigner, aimer présente d’emblée les espaces géographiques, publics et privés dans lesquels vit, pratique et écrit l’autrice-médecin-narratrice. Dans la Préface du texte, signée par l’auteur-médecin Jean Désy, celui-ci indique « qu’elle [Ouanessa Younsi] a tout compris, ou qu’elle a beaucoup compris. On ne peut vraiment soigner, on ne peut vraiment être soignant si on n’aime pas. […] Sans amour pour l’autre, pas de soin véritable » (SA, 7). Cette compréhension particulière renvoie au soin comme forme d’amour et vice-versa, et se situe dans un paradigme de la jonction de l’art et de la science, car, comme le remarque Jean Désy, dans l’écriture de Younsi « l’art n’est [jamais] oublié au profit de la science » (SA, 7-8). Cette forme de textualisation a été nommée « écriture du care » ou bien de la sollicitude, forme connectée à l’éthique du care. De ce fait, la matière même de l’écriture est marquée par la coprésence de ces deux types de savoir, émotionnel et empirique, et laisse transparaître, dans la forme comme dans le contenu, divers modes de remise en question, d’hybridation et de métissage. Ce métissage n’est pas seulement esthétique mais aussi politique, car Ouanessa Younsi, née à Montréal d’une mère québécoise et d’un père algérien et portant le prénom de la grand-mère paternelle qu’elle n’a jamais connue, analyse le passé colonial du Canada et questionne ses propres lacunes en tant que personne privilégiée11Marie J. Carrière, Cautiously Hopeful: Metafeminist Practices in Canada, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2020, p. 172..

Le métissage est également manifeste dans le parcours professionnel de Younsi : elle est diplômée en médecine (doctorat en médecine de l’Université Laval en 2008) et étudiante en philosophie (elle poursuit des études de maîtrise en philosophie à l’Université Laval). En pratiquant la psychiatrie à Sept-Îles et à Kuujjuaq, avant de s’établir à Montréal, elle a traversé les espaces et plongé dans l’étendue géographique et littéraire du Québec pour rencontrer diver·e·s patient·e·s et diverses formes littéraires : la poésie12Ouanessa Younsi a publié plusieurs recueils de poèmes dont Prendre langue, Montréal, Mémoire d’encrier, 2011 ; Emprunter aux oiseaux, Montréal, Mémoire d’encrier, 2014 ; Métissé, Montréal, Mémoire d’encrier, 2018 et a codirigé, avec Isabelle Duval, le recueil de poèmes intitulé Femmes rapaillées, Montréal, Mémoire d’encrier, 2016. À propos de l’œuvre de Ouanessa Younsi, voir également Ursula Mathis-Moser, « “Nous sommes encore des humains” : l’écriture de la sollicitude de Ouanessa Younsi », dans Yvonne Völkl et Albert Göschl (dir.), Observations – Beobachtungen zu Literatur und Moral in der Romania und den Amerikas. Festschrift zum 65. Geburtstag von Klaus-Dieter Ertler, Vienne, LIT, 2019, p. 194-195., sa forme littéraire de prédilection, mais également la prose poétique dans Soigner, aimer. Dans ce texte, en se demandant « Est-ce cela écrire ? Soigner ? L’art est ce qui permet à la science de passer entre deux êtres. » (SA, 55), l’instance narrative qui correspond à la posture d’énonciatrice de Ouanessa Younsi annonce sa position et son affiliation, ses questionnements et ses démarches poétiques et politiques. Elle se dévoile dans plusieurs postures, tantôt soignante, patiente ou accompagnant un malade (sa grand-mère Denise), et s’interroge sur les pratiques et les formes de soin employées dans les institutions médicales ainsi que sur divers problèmes sociétaux tout en les inscrivant dans le rythme de ses rencontres et de ses expériences. Pour voir comment s’articulent ces formes de métissage et de mise en récit, nous nous pencherons sur le texte en partant de la position de soignante et verrons comment le « chronotope du soin », celui qui présente l’espace-temps depuis le cadre clinique et qui est ici également une forme du « chronotope du soi13Pour l’instant nous définissons ce chronotope comme celui de l’espace-temps subjectif du personnage qui, de façon autodiégétique, se penche sur sa propre évolution dans un cadre interpersonnel. », structure et informe les lectures des corps malades et des pratiques médicales employées dans les institutions dont parle la narratrice.

Dès l’incipit du Prologue, la voix de la narratrice est située comme étant celle de l’autrice et psychiatre Ouanessa Younsi :

Soigner, aimer retrace mon parcours comme soignante. Certains textes ont été composés lors de ma formation. D’autres, à mes débuts comme médecin psychiatre à Sept-Îles, puis à Montréal. Certains abordent le soin d’autrui. D’autres, de soi et des Autres en soi. Tous font le pari d’une prose poétique pour dire la souffrance, la compassion. (SA, 9).

En désignant ce parcours comme sien, la narratrice situe l’espace-temps du récit depuis la perspective des soignantes dans le « chronotope du soin », donc dans le cadre diégétique de l’autorité médicale. Mais, dans son souhait poétique et politique qui consiste à transcender les binarités, elle marque cet espace-temps d’une forme de coprésence avec l’« autre ». Cela suppose de partager la vulnérabilité de ce dernier et de représenter la personne à soigner dans sa complexité, avec son histoire, ses forces et ses failles, ses paroles et ses silences, que cet « autre » soit à l’extérieur ou à l’intérieur. Le rapport à l’« autre » toujours présent, même (ou surtout) en son absence, est central à la définition de soi et à la compréhension de l’histoire (dans la tripartition narratologique histoirerécitnarration, mais aussi dans la suite des événements qui constituent l’existence), qu’elle soit personnelle ou collective.

Comme le dit le titre de la première des deux grandes parties qui forment le livre, « [l]’amour c’est les autres » (SA, 13). Chez Younsi, l’« autre » est relation, intention et direction, par opposition à la vision sartrienne de l’« autre » qui est pluriel et qui représente la confrontation interpersonnelle14D’où la célèbre phrase « L’enfer, c’est les autres » de la pièce de théâtre Huis-clos. Voir Jean-Paul Sartre, Huis-clos, Paris, Gallimard, 1947, p. 62.. Dans cette première partie, c’est la narratrice-soignante qui expose son quotidien avec tout son désarroi et sa fragilité face aux patient·e·s. La seconde grande partie du texte, intitulée « J’ai besoin de toi » (SA, 63), annonce, non plus le « avec » du soin de l’autre, mais l’« autre en soi », c’est-à-dire la patiente qui fait partie du passé de la narratrice, celle qu’elle a été dans son adolescence, et l’accompagnatrice de sa grand-mère. Avec huit et, respectivement, neuf textes dans chacune des parties, la structure formelle de l’ensemble reprend ces positions – celle de soignante et celle de patiente, de l’autre comme « amour », et du besoin que l’instance narrative a de l’autre – et laisse entrevoir le « relationnel15Ursula Mathis-Moser, op. cit., p. 199. » comme leitmotiv. Pour Younsi, le soin représente une forme d’amour car il demande la présence et le respect de l’autre, en plus des connaissances médicales qui permettent de le soigner. L’affection pour l’autre est donc aussi importante que le geste thérapeutique ; ici l’amour fait partie du remède.

Dans ces deux grands volets, la narratrice opère plusieurs glissements depuis sa posture d’autorité médicale vers celle d’alliée qui fait l’expérience de la sollicitude pour ses patient·e·s : « Je tente de me mettre à leur place. Sentir l’aiguille pénétrer mes fesses. L’halopéridol et le lorazépam m’injecter la paix. Suinter dans ma chair. Rejoindre mes neurones. Se lier à mes récepteurs » (SA, 21). Mais, en se rendant compte du danger que comporte une telle identification « totale » à l’autre malade, la narratrice revoit immédiatement sa position : « J’ai cessé cet exercice d’exposition en imagination aux maux des patients. Pour survivre dans ce système, il faut toucher sans traverser. Autrement, on reçoit l’injection pour de vrai. Je préfère que la raison passe tout droit. Être miroir et écho » (SA, 21). Cette réévaluation de son statut en tant que speculum est un élément-clé de la diégèse qui, selon les propos de Catherine Mavrikakis, est une réflexion profonde sur « la relation de soin à l’autre16Ouanessa Younsi, « Soigner, aimer », dans le cadre de « Littérature et médecine. Table ronde organisée par Figura-UdeM », op. cit. ». Par la suite, le texte présente, au fil des chapitres, diverses autres formes de relations et de communion(s) avec les patient·e·s sans passer par cette projection qui risque de fragiliser sa posture de soignante.

Une de ces formes est l’humilité, et l’autrice y fait référence dès le prologue :

Soigner demande humilité. La relation thérapeutique est inégale. L’humilité équilibre le lien. Permet la compassion et non la pitié. Rappelle que le patient pourrait être moi, que peu me distingue de lui. L’excès d’argent et de pouvoir nuit à cette posture humble, en plus de creuser les inégalités socioéconomiques, qui sont un déterminant majeur de la santé d’une population. (SA, 10-11).

L’humilité est une décision consciente, une action réfléchie et un rappel de la posture vulnérable de tout être, même médecin. Cela s’inscrit dans la lignée des réflexions de Carol Gilligan et de Susan Pollak pour qui le statut du·de la médecin comporte de façon intrinsèque deux formes de vulnérabilité : 1) celle de l’intimité (voire du transfert) avec les patient·e·s qui pourrait troubler l’objectivité et 2) celle, opposée, de l’excellence technique qui pourrait primer sur les relations humaines17Gilligan, Carol et Susan Pollak, « The Vulnerable and Invulnerable Physician », dans Carol Gilligan et al. (dir.), Mapping the Moral Domain. A Contribution of Women’s Thinking to Psychological Theory and Education, Cambridge, Massachusetts, Harvard University Press, Harvard University Graduate School of Education, Center for the Study of Gender, Education, and Human Development, 1988, p. 245.. En essayant de réconcilier et de dépasser ces deux formes de vulnérabilité par l’humilité, l’autrice convoque cette empathie humaine de façon quasi-abstraite (car non-qualitative et non-subjective) en reconnaissant la condition fragile de tout être, même lorsqu’il s’agit du personnel soignant dans sa position d’autorité. De ce fait, son approche thérapeutique et interpersonnelle est guidée par les grands axes des théories du care18Voir Marie Garrau, Care et attention, Paris, Presses universitaires de France, 2014. qui regroupent les formes et contextes des actions de soin (comme la prise en charge, la sollicitude, l’accompagnement, la responsabilité, etc.) et de prise de parole, mais aussi d’autres problématiques sous-jacentes comme celle du genre, de la classe sociale ainsi que les perspectives postcoloniales qui participent à une forme particulière de mise en récit de la maladie d’autrui et de son accompagnement par la soignante.

Dans son analyse des ressorts poétiques de l’écriture de Younsi, Ursula Mathis-Moser19Ursula Mathi relève les figures de style et les modes de figuration (l’usage du langage médical, le zeugma, l’écriture polysémique, la synesthésie, etc.) et montre comment un langage épuré et poétisé participe de cette manière particulière d’exploration de l’être relationnel dans le contexte clinique. Pour l’autrice-narratrice-soignante, ces événements sont géographiquement et historiquement situables entre l’Algérie et le Canada, entre le passé des racines familiales et le présent des rencontres humaines. Marquée par le passé d’une partie de sa famille qu’elle ne connaît que partiellement, mais qui participe activement à son métissage19En faisant écho au recueil de poésie d’Ouanessa Younsi Métissée (2018) dans lequel « une petite fille construit sa famille de papier dans le labyrinthe des origines » (quatrième de couverture)., la narratrice est dans une posture de créatrice et d’exploratrice d’histoires, les siennes et celles des autres, dans le contexte clinique et à l’extérieur de celui-ci. Et c’est depuis cette position d’auscultatrice qu’elle examine les formes de soin qu’elle prodigue et qu’elle reçoit, tout particulièrement lorsque Younsi retrace ses propres expériences en tant que patiente atteinte d’anorexie, dans la seconde partie du recueil. Mais, comme nous l’avons déjà indiqué, pour arriver à parler de son expérience en tant que malade, la narratrice présente, dans la première partie du livre, son parcours de soignante. Ces histoires particulières sont plutôt envisagées comme des îles – un topos cher à l’autrice comme le montre le sous-titre du premier chapitre « Réparer (les îles)20Titre qui renvoie au nom arabe d’Alger, Al-Djaza’ir, qui signifie « les îles ».» (SA, 17) – qui construisent son parcours de médecin.

L’« île », présente dans le nom de la ville de Sept-Îles où la narratrice effectue sa première semaine de garde en psychiatrie, peut être conçue comme un endroit qui représente un microcosme territorial mais aussi émotionnel, clinique et humain. Dans ce premier chapitre, les sous-titres représentent les cercles concentriques que forment, dans une perspective géopoétique, les « îles » qui structurent le quotidien de la narratrice et créent une « poétique de l’espace21Gaston Bachelard, La Poétique de l’espace, 3e édition, Paris, Presses universitaires de France, 1961. », pour reprendre l’expression bachelardienne. Ces sous-titres, Sept-Îles, Le logement, L’hôpital, L’urgence, L’aile psychiatrique, désignent des espaces dans lesquels, en utilisant des techniques cinématographiques d’amplification comme le travelling, le zoom ou le rétrécissement du champ, la narratrice circule pour arriver vers les personnes et les événements marquants qu’indiquent les sous-titres suivants dans ce même chapitre : Luc, La mort, Les autres, Moi. Ce mouvement diégétique et concentrique, qui opère depuis le « chronotope du soin » vers celui « du·de la patient·e », sert à présenter le contexte, le cadre géographique, et à introduire l’espace et les êtres qui peuplent la vie de la narratrice de façon à rendre compte de la connexion, de l’interaction et de l’intrication entre ces éléments.

Un des premiers êtres qu’elle doit accompagner, Luc, est également celui qui se prive (ou celui qui est privé par la maladie ou le traumatisme) de parole, car il ne parle jamais (SA, 19). Pour circonscrire les positionnements des autres soignant·e·s et le sien, la narratrice remarque que « [t]ous ignorent pourquoi il ne parle pas. La moitié du personnel soutient qu’il est catatonique. L’autre, qu’il a été abusé dans son enfance. J’ai décidé d’abandonner le pourquoi. D’être là, simplement. De l’écouter se taire » (SA, 19). La présence et l’écoute, même si c’est une écoute du silence, redéfinissent le contrat entre médecin et patient·e qui, à la lumière de l’humilité à laquelle fait référence Younsi, marque l’horizontalité de ces rapports, comme une forme de cure qui passe par le care, deux notions entre lesquelles la narratrice cherche ce que Mathis-Moser appelle « un fragile équilibre22Ursula Mathis-Moser, op. cit., p. 194. ». Du fait de son mutisme, la narratrice décrit Luc en mobilisant le champ lexical aquatique : « L’huître se referme, sombre dans son espace-temps incorruptible, loin de cet hôpital où il demeure. Inaccessible et désengagé du monde, tel un corail » (SA, 20). Comme une référence à une « géopoétique de l’être », le « chronotope du patient » Luc marque l’imaginaire de la soignante qui opère elle aussi en termes chronotopiques en inscrivant Luc dans un « espace-temps incorruptible » (SA, 20). Sans la possibilité de percer l’espace-temps clos de Luc, la soignante décide « d’être là, simplement » (SA, 19) et crée les conditions d’une coprésence dans le « ici et maintenant » humain, éthique et esthétique d’un « chronotope de l’accompagnement », par opposition au « chronotope du soin » qui demande des outils cliniques. Mais, pour signaler que ce changement de paradigme ne garantit pas la réussite clinique, la narratrice évoque, dès la page suivante, le décès de Luc et l’effet que cette nouvelle a produit :

La mort

incrimine les vivants.

J’apprends que Luc est décédé. Je n’ose demander comment. Par respect pour les secrets. Maman fut son dernier mot. Le seul. Je retiens mes larmes : je suis psychiatre. Je participe à la réunion d’équipe la bouche coupée. Plus tard, à des lieux de Sept-Îles, je penserai à celui qui ne parle jamais. À l’énigme de son mutisme. À ses pupilles de poivre. À son existence pour moi nécessaire comme portage. (SA, 20)

Pour Jacques Derrida, survivre à la mort de l’autre représente la condition même de l’amitié (philia) : « Survivre, c’est donc à la fois l’essence, l’origine et la possibilité, la condition de possibilité de l’amitié, c’est l’acte endeuillé de l’aimer23Jacques Derrida, Politiques de l’amitié. Suivi de l’oreille de Heidegger, Paris, Galilée, 1994, p. 31. ». Même si, dans le cas de la relation médecin-patient·e, il est moins question d’amitié et plus de responsabilité professionnelle, le lien affectif qui unit la soignante avec son patient relève ici d’une forme particulière de filiation. En dépassant les limites d’un échange clinique, mais aussi celles de l’espace et du temps – « Plus tard, à des lieux de Sept-Îles » (SA, 20) –, la narratrice marque le lien profond qui unit le patient défunt à la soignante qui, tout en faisant son deuil, se doit de continuer à aider les autres. Le corps malade de Luc, porteur d’énigmes et portage24Le terme « portage » désigne une technique des Premières Nations qui consiste à porter des canots et des objets en utilisant une « voie terrestre qui sert à contourner un obstacle sur une voie d’eau ». C. Stuart Mackinnon, « Portage », L’Encyclopédie Canadienne, 5 juin 2020, [En ligne], https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/portage-1 page consultée le 1er avril 2021). de maladies et d’expérience, devient lui aussi exemplum et nécessité, et participe à l’initiation de la psychiatre : « La poussière sur Sept-Îles le logement l’hôpital l’urgence l’aile psychiatrique Luc la mort les autres moi le bureau deux peaux dans le bureau éliment la virginité. » (SA, 22). L’espace-temps de Luc (le « chronotope du·de la patient·e ») fait partie intégrante et essentielle des éléments qui organisent la vie de la soignante et donc également du « chronotope du soin ». De ce fait, les balises temporelles et spatiales qui ordonnent la vie « clinique » (le hic et nunc de la rencontre patient·e-soignant·e) se voient « contaminées » par la présence mémorielle de Luc qui, dans et à travers son absence, représente une leçon inaugurale pour la soignante : « On se reconnaît le droit d’échouer » (SA, 24). C’est l’humilité qui lui permet d’accepter l’échec comme un passage obligé : « On ne s’habitue pas aux suicides. À vingt-neuf ans on a tout vu on a regardé la folie dans les yeux on a mémorisé des miroirs on a mangé les arêtes obligatoires » (SA, 24) mais cela sans renoncer à sa perspective critique et à son intention de soigner, « [l]es épinettes réparent nos racines » (SA, 24).

Ces deux éléments – le regard critique et l’importance de la pratique de soin – sont également présents dans les réflexions de Younsi sur ses relations avec ses patient·e·s (comme John, un Innu de quatre-vingt-deux ans qui a cherché à se pendre avec un fil de téléphone à cause des violences subies dans sa famille) et ami·e·s (comme Lindy, une Innue à qui la narratrice exprime son souhait d’approfondir la culture autochtone) innu·e·s qu’elle côtoie en découvrant une « [t]erre sciée en deux, Sept-Îles et la réserve autochtone Uashat, séparée par un mur de la honte à la hauteur de celui d’Israël » (SA, 24). Circulant dans cet espace-temps blessé par la séparation et l’aliénation, la narratrice utilise la métaphore de corps féminins différents pour convoquer la complexité historique coloniale et constater les formes de marginalisation, de détresse et de racisme mais également les marqueurs relationnels qui sont ici des éléments participant à la portée géopoétique du texte :

Je traverse la frontière invisible entre Sept-Îles et Uashat. Jumelles siamoises qui partagent un bras, la rue du Vieux Poste, et une jambe, le boulevard des Montagnais. Sept-Îles et Uashat se regardent sans se voir. Les passants marchent sans réaliser qu’ils sautent du corps de Sept-Îles au corps de Uashat. Deux femmes distinctes, soudées par la mer, le territoire, les fruits rouges, les bleuets. (SA, 35).

À travers cette image de la ville en tant que corps divisé, il est possible d’entrevoir le souci de la narratrice pour les problèmes de santé (mentale mais aussi physique) et de sécurité des populations autochtones ainsi que son désir de découvrir leurs cultures pour pouvoir aider ses patient·e·s avec humilité, mais aussi prendre conscience de ses propres privilèges :

Est-ce de la psychiatrie ? Non. De la misère. […] La mienne si j’étais née ici et non là-bas, dans la pauvreté et non dans la classe moyenne supérieure qui envahit les Club Med et les Facultés de médecine. La mienne si je n’étais pas programmée dès le primaire à récolter des A pour me sauver en médecine, de l’autre côté de cette misère qui m’effraie et m’attire. (SA, 27).

En comprenant les causes de ces maux et en contextualisant les histoires personnelles et collectives, la narratrice fait plus qu’un travail anamnétique. Elle construit sa vision du corps malade en tant que somathèque, concept que nous définissons comme une archive des techniques et des discours qui « produisent » et contrôlent les corps, dans la vision critique du philosophe Paul B. Preciado25Paul B. Preciado, « Testo Junkie Notes for a Psychoanalytic Forum », Studies in Gender & Sexuality, vol. 17, nº 1, 2016, p. 24.. Cette vision, opposée à une conception monolithique du corps, l’envisage plus comme un techno-objet performatif qu’il est important de situer dans ses contextes politiques, culturels et médicaux. Pour la narratrice, les problèmes qui amènent les populations autochtones à l’aile psychiatrique de l’hôpital ont leur source dans leurs conditions sociales et économiques, dans l’histoire coloniale, le racisme, les « eux vs nous ».

Dans son travail thérapeutique et littéraire, la narratrice-autrice interroge ses affinités – « Est-ce la même faille qui m’amène à écrire et à soigner ? À sentir une fraternité avec les Innus échoués à l’urgence, épaves et océans ? » (SA, 25) – et étend son « chronotope du soin » au-delà du « ici et maintenant » de la rencontre clinique pour « soigner les plaies de quatre siècles » (SA, 24). Son parcours et son positionnement complexes, entre amie et soignante, entre témoin et scriptrice, québécoise et métisse, lui permettent d’étendre le cadre clinique, mais aussi, à certains moments, d’en sortir complètement pour se reconstruire : « Je me dessine des racines, un mélange de canneberges et de dattes » (SA, 41). La littérature, sous sa forme d’histoire narrée, qu’elle soit celle des autres ou la sienne, transparaît ici comme forme de connaissance et d’accompagnement car, comme le souligne l’autrice dans l’épilogue, « [ê]tre touchée est le propre du poète et du soignant, tant qu’on connaît ses limites » (SA, 127). Et, puisque « la littérature entrouvre l’espace du soin » (SA, 123), c’est à travers la mise en récit et la construction du « chronotope de l’accompagnement » que la narratrice de Younsi explore son statut de soignante et son rapport à l’autre.

Cette forme particulière de tissage narratif complexifie la représentation de la maladie ainsi que celle du soin, et cela grâce à l’éthique et à la poétique : « L’université m’a formée comme psychiatre. La littérature me forme comme soignante. “m’a formée”, “me forme” : les temps des verbes sont importants » (SA, 123). Alors que les études médicales sont situées dans le passé de la narratrice, la littérature est cette constante qui l’informe continuellement sur les autres, le monde et elle-même. C’est donc pour souligner l’importance de la littérature, et surtout de la poésie, pour la narratrice et pour sa vision du soin que son texte comporte de nombreuses références intertextuelles, québécoises, mais aussi issues de la littérature universelle. Camus, Aragon, Vian, Desautels, Miron, Dickinson, Hébert, Aquin, Brault et Monette peuplent son imaginaire et participent à la création d’un chronotope hybride qui unit le·la patient·e et le·la soignant·e sur un terrain commun, celui du récit et du partage, celui de la présence à l’autre, le « chronotope de l’accompagnement ». La littérature, dans sa forme et son contenu, constitue un temps-territoire que Younsi déploie pour y inclure le personnel et le professionnel, le réel mais aussi le fictionnel. La forme autodiégétique qu’emploie la narratrice et sa proximité avec les faits vécus par l’autrice permettent une analyse à travers un paradigme autofictionnel et complexifie le récit en communiquant son « je » multidimensionnel. Avec comme dernier texte du recueil (celui qui précède l’épilogue) un poème intitulé « Merci de m’avoir attendue pour mourir » dédié à la mort de Denise26En faisant écho au recueil Emprunter aux oiseaux (2014) de Younsi qui porte sur l’accompagnement de sa grand-mère Denise, atteinte de la maladie d’Alzheimer., Younsi passe de la prose aux vers pour signaler son attachement au registre lyrique comme forme de prédilection, tout particulièrement pour exprimer la perte de l’autre. Incisive et laconique, cette dernière ode à sa grand-mère constitue une clôture du cadre diégétique principal et un tournant vers des conclusions théoriques et éthiques.

Dans l’épilogue, riche en réflexions sur sa profession, c’est la compassion et l’humilité qui émergent comme notions centrales. Sans avoir une « vision romantique » (SA, 124) du soin, de certaines maladies ou de certain·e·s patient·e·s, Younsi définit son idée de la psychiatrie de la façon suivante : « Soigner, c’est aider le patient à s’inscrire dans son histoire et dans le monde. À retrouver dignité, sa propre voix parmi les hallucinations et les idées de référence. Soigner, c’est aussi combattre la discrimination, l’exclusion et la pauvreté qui accompagnent souvent la psychose » (SA, 125). Pour l’autrice, penser les versants individuels et sociaux de la maladie est un enjeu central et la littérature constitue un espace privilégié où cette réflexion interpersonnelle peut se déployer : « À mes yeux, elle [la littérature] représente un espace psychique. Une suspension du temps donnant davantage de temps. Un territoire de liaison, de relation » (SA, 126). Et si, comme l’indique Ursula Mathis-Moser, Younsi a « une écriture ultra-lucide mais qui refuse les engagements bruts et moralisants27Ursula Mathis-Moser, op. cit.,p. 198. », l’autrice ne renonce toutefois pas à l’affect et aux émotions pour mettre en récit les corps malades. Tout en gardant la distance qui permet de « toucher sans traverser » (SA, 21), la soignante garde également sa sensibilité poétique et humaine pour représenter l’espace-temps clinique et de soin comme un « chronotope relationnel », celui que nous avons nommé le « chronotope de l’accompagnement ». Et, alors que, comme le signale Peter Good, « [so] often, practitioners find themselves entering the clinic on a purely intellectual level28Peter Good, op. cit., p. X. », Younsi et son alter ego narratif « habite(nt) » avec gêne, amour et attention cet espace-temps difficile à naviguer, mais indispensable à l’existence. Les multiples corps malades qui peuplent le texte de Ouanessa Younsi situent et illustrent les différents aspects de la condition de patient·e tout en étant insérés dans l’espace extérieur (la ville, la réserve, la forêt, etc.) et intérieur (les expériences personnelles de la narratrice, l’empathie, la compassion, etc.). En énonçant plusieurs de ses engagements, comme la visibilité des minorités, le care comme éthique et poétique, ou encore le relationnel en tant que vecteur premier des relations de soin, Younsi mobilise la fragilité et la précarité de l’existence pour souligner la complexité et la beauté de ses professions et l’importance de l’attention. Avec ce texte, Younsi est déterminée à montrer que pour elle « [l]a médecine est […] une question de relation, de lien29Francine Pelletier et Pierre Lefebvre, « Ce qui lie la science au sensible. Entretien avec Ouanessa Younsi », Liberté nº 316, 2017, p. 10. », élément qui, selon Marie Carrière, rappelle le concept de l’« interdépendance de l’ensemble des corps » proposé par la théoricienne du care Joan Tronto30Liane Mozère, « Avant-propos », dans Joan Tronto, Un monde vulnérable : pour une politique du care, Paris, Éditions de la Découverte, 2009, p. 7.. Pour Carrière, Younsi transcende le langage médical à travers le recours à la littérature et à la vulnérabilité personnelle31Marie J. Carrière, op. cit., p. 171-172., comme une forme de matérialisation de la pratique du soin, que nous interprétons également comme une forme d’espace-temps de l’accompagnement que l’autrice-narratrice habite par son éthique et son esthétique, en mettant l’accent sur l’amour, la sensibilité et la connexion à l’autre.

***

Il nous semble que chez Younsi, nous pouvons voir le rapport à l’« autre » comme horizontal, multiple, non-linéaire, marqué par les destins des patient·e·s et ceux des textes littéraires qui structurent la vision du monde de la narratrice. Le soin est envisagé comme une forme d’amour, de compassion et d’humilité dans laquelle la distance entre l’autorité du·de la médecin et du·de la patient·e est diminuée pour créer un espace-temps nouveau, celui de l’union dans l’accompagnement et la coprésence. Pour l’autrice, la pratique médicale se situe simultanément dans les connaissances techniques et dans l’affect, et la littérature est présentée comme une des formes de compréhension et de dépassement de cette binarité. En se situant dans cette brèche qui est une ouverture vers la fragilité de l’être, les failles et les injustices (individuelles ou transgénérationnelles), la narratrice de Younsi compose son récit avec les histoires des autres, mais également avec la sienne et celles de ses proches, rendant ainsi le texte d’autant plus personnel, intimiste et viscéral, en créant un « chronotope du soi » qui soigne tout en ayant besoin de l’autre, « besoin de toi ». Son désir d’explorer et d’exposer la complexité du monde du soin se manifeste et se déploie sous la forme, mais aussi dans le contenu, de son écriture prosaïque et poétique. L’espace-temps de l’accompagnement est le centre de son art et de sa science ; elle habite des îles où se rencontrent le réel et le fictionnel pour permettre une nouvelle vision du soin en psychiatrie.

  • 1
    Anne-Marie Mottaz, « Accompagnement », dans Monique Formarier et Ljiljana Jovic (dir.), Les concepts en sciences infirmières, 2e édition, Lyon, Éditions Mallet Conseil, Association de Recherche en Soins Infirmiers, 2012, p. 42.
  • 2
    Peter Good, Language for Those Who Have Nothing: Mikhail Bakhtin and the Landscape of Psychiatry, New York, Kluwer Academic/Plenum, 2001, p. 23.
  • 3
    Ouanessa Younsi, « Soigner, aimer », dans le cadre de « Littérature et médecine. Table ronde organisée par Figura-UdeM », Montréal, Université de Montréal, 30 avril 2019, [En ligne], http://oic.uqam.ca/fr/communications/soigner-aimer (page consultée le 13 janvier 2021).
  • 4
    Dès le début du recueil, il est noté sous forme de paratexte que : « Les textes qui suivent sont constitués d’histoires imaginées ou modifiées par souci de confidentialité. Tous les noms des personnages sont inventés, hormis celui de Denise, dont je suis la petite-fille. » Ouanessa Younsi, Soigner, aimer, Montréal, Mémoire d’encrier, 2016, p. 4. Les références à Soigner, aimer sont désormais abrégées en SA, suivi du numéro de page. Lors de la table ronde « Comment la littérature permet-elle de (re)créer des relations à “nos” mort·e·s ? » qui a eu lieu pendant la journée d’étude en ligne « Éthique et poétique du care dans la littérature contemporaine », le 17 avril 2021, Ouanessa Younsi a également indiqué qu’aucun·e de ses patient·e·s diégétiques n’est « complet·e » et que chacun·e est un assemblage de plusieurs parcours.
  • 5
    Voir Pascale Molinier, Sandra Laugier et Patricia Paperman (dir.), Qu’est-ce que le care ? Souci des autres, sensibilité, responsabilité, Paris, Payot & Rivages, 2012.
  • 6
    Mikhaïl Bakhtine, Esthétique et théorie du roman, Paris, Gallimard, 1978, p. 237.
  • 7
    Ibid., p. 384.
  • 8
    Peter Good, op. cit., p. 23.
  • 9
    Ibid, p. 28.
  • 10
    Le recueil est composé de 17 textes avec un épilogue et un prologue.
  • 11
    Marie J. Carrière, Cautiously Hopeful: Metafeminist Practices in Canada, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2020, p. 172.
  • 12
    Ouanessa Younsi a publié plusieurs recueils de poèmes dont Prendre langue, Montréal, Mémoire d’encrier, 2011 ; Emprunter aux oiseaux, Montréal, Mémoire d’encrier, 2014 ; Métissé, Montréal, Mémoire d’encrier, 2018 et a codirigé, avec Isabelle Duval, le recueil de poèmes intitulé Femmes rapaillées, Montréal, Mémoire d’encrier, 2016. À propos de l’œuvre de Ouanessa Younsi, voir également Ursula Mathis-Moser, « “Nous sommes encore des humains” : l’écriture de la sollicitude de Ouanessa Younsi », dans Yvonne Völkl et Albert Göschl (dir.), Observations – Beobachtungen zu Literatur und Moral in der Romania und den Amerikas. Festschrift zum 65. Geburtstag von Klaus-Dieter Ertler, Vienne, LIT, 2019, p. 194-195.
  • 13
    Pour l’instant nous définissons ce chronotope comme celui de l’espace-temps subjectif du personnage qui, de façon autodiégétique, se penche sur sa propre évolution dans un cadre interpersonnel.
  • 14
    D’où la célèbre phrase « L’enfer, c’est les autres » de la pièce de théâtre Huis-clos. Voir Jean-Paul Sartre, Huis-clos, Paris, Gallimard, 1947, p. 62.
  • 15
    Ursula Mathis-Moser, op. cit., p. 199.
  • 16
    Ouanessa Younsi, « Soigner, aimer », dans le cadre de « Littérature et médecine. Table ronde organisée par Figura-UdeM », op. cit.
  • 17
    Gilligan, Carol et Susan Pollak, « The Vulnerable and Invulnerable Physician », dans Carol Gilligan et al. (dir.), Mapping the Moral Domain. A Contribution of Women’s Thinking to Psychological Theory and Education, Cambridge, Massachusetts, Harvard University Press, Harvard University Graduate School of Education, Center for the Study of Gender, Education, and Human Development, 1988, p. 245.
  • 18
    Voir Marie Garrau, Care et attention, Paris, Presses universitaires de France, 2014.
  • 19
    Ursula Mathi relève les figures de style et les modes de figuration (l’usage du langage médical, le zeugma, l’écriture polysémique, la synesthésie, etc.) et montre comment un langage épuré et poétisé participe de cette manière particulière d’exploration de l’être relationnel dans le contexte clinique. Pour l’autrice-narratrice-soignante, ces événements sont géographiquement et historiquement situables entre l’Algérie et le Canada, entre le passé des racines familiales et le présent des rencontres humaines. Marquée par le passé d’une partie de sa famille qu’elle ne connaît que partiellement, mais qui participe activement à son métissage19En faisant écho au recueil de poésie d’Ouanessa Younsi Métissée (2018) dans lequel « une petite fille construit sa famille de papier dans le labyrinthe des origines » (quatrième de couverture).
  • 20
    Titre qui renvoie au nom arabe d’Alger, Al-Djaza’ir, qui signifie « les îles ».
  • 21
    Gaston Bachelard, La Poétique de l’espace, 3e édition, Paris, Presses universitaires de France, 1961.
  • 22
    Ursula Mathis-Moser, op. cit., p. 194.
  • 23
    Jacques Derrida, Politiques de l’amitié. Suivi de l’oreille de Heidegger, Paris, Galilée, 1994, p. 31.
  • 24
    Le terme « portage » désigne une technique des Premières Nations qui consiste à porter des canots et des objets en utilisant une « voie terrestre qui sert à contourner un obstacle sur une voie d’eau ». C. Stuart Mackinnon, « Portage », L’Encyclopédie Canadienne, 5 juin 2020, [En ligne], https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/portage-1 page consultée le 1er avril 2021).
  • 25
    Paul B. Preciado, « Testo Junkie Notes for a Psychoanalytic Forum », Studies in Gender & Sexuality, vol. 17, nº 1, 2016, p. 24.
  • 26
    En faisant écho au recueil Emprunter aux oiseaux (2014) de Younsi qui porte sur l’accompagnement de sa grand-mère Denise, atteinte de la maladie d’Alzheimer.
  • 27
    Ursula Mathis-Moser, op. cit.,p. 198.
  • 28
    Peter Good, op. cit., p. X.
  • 29
    Francine Pelletier et Pierre Lefebvre, « Ce qui lie la science au sensible. Entretien avec Ouanessa Younsi », Liberté nº 316, 2017, p. 10.
  • 30
    Liane Mozère, « Avant-propos », dans Joan Tronto, Un monde vulnérable : pour une politique du care, Paris, Éditions de la Découverte, 2009, p. 7.
  • 31
    Marie J. Carrière, op. cit., p. 171-172.