Les Moires dans les épigrammes funéraires grecques

Les Moires dans les épigrammes funéraires grecques

Michaël Ledig
Université de Lorraine

Michaël Ledig est docteur en langues, littératures et civilisations et agrégé de lettres classiques. Sa thèse de doctorat consistait en une édition et une étude d’épigrammes funéraires grecques, provenant de régions à distance de la Grèce centrale, à savoir le littoral de la mer Noire, l’Asie mineure et les territoires au sud-est de la Méditerranée, de la Syrie à la Cyrénaïque, et datant du Vsiècle avant J.-Chr. jusqu’au Ier siècle de notre ère. Il enseigne actuellement la langue et la littérature grecques en qualité d’Attaché temporaire de recherche et d’enseignement au sein de l’Université de Lorraine, dans la ville de Nancy.

« Aériennes, invisibles, immuables, à jamais indestructibles, qui donnez tout, qui enlevez, qui êtes la nécessité pour les mortels !1Hymnes orphiques, texte établi, traduit et commenté par Marie-Christine Fayant, Paris, Les Belles Lettres, 2017. 59, v. 17-18. ». C’est ainsi que les Moires sont chantées dans le cinquante-neuvième des Hymnes orphiques qui leur est tout entier dédié. Les Moires sont, partout et pour toujours, maîtresses et souveraines du sort des mortels. Déessesinéluctables, les Moires n’en demeurent pas moins « aériennes, invisibles ». De fait, ces divinités qui nous sont connues dès les plus anciens textes que nous a légués la littérature grecque, l’Iliade et l’Odyssée, résistent à toute caractérisation définitive ; leur figure, leurs rôles et les fonctions qu’elles remplissent au sein du cortège des dieux grecs sont, en effet, très variés et ont évolué au fil des siècles. Ainsi, dans les épopées homériques, les Moires ne correspondent-elles pas encore à la représentation que la tradition a fixée : trois sœurs filandières, dont chacune porte un nom symbolisant la fonction qu’elle occupe à l’égard du destin humain.  Les subtiles généalogies dressées par Hésiode dans sa Théogonie2Hésiode, Théogonie, texte établi, traduit et commenté par Paul Mazon, Paris, Les Belles Lettres, 1928, dernier tirage 2014. Dorénavant abrégé en Théog. Hésiode consacre deux généalogies aux Moires : la première des vers 217 à 222, la seconde des vers 901 à 906. Pour un commentaire de ces deux généalogies, cf. infra. approfondissent l’ambivalence de ces Moires, tantôt déesses de la mort, en tant que filles de la Nuit, tantôt déesses assurant le bon ordre du cosmos, car elles sont aussi le fruit de l’union entre Zeus et Thémis. Les détails du portrait des Moires n’ont cessé de se multiplier, de s’enrichir, de se compliquer. Cette densification de la figure des Moires entre en résonance avec la manière dont les hommes se représentent le destin et, en particulier, son terme : la mort. En tant que personnification du destin, les Moires sont tout à la fois le symbole de l’inéluctabilité du trépas3On réduit souvent les Moires à cette seule fonction symbolique ; Pierre Grimal, Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, Paris, PUF, 2002, p. 300 ; « Les Moires sont la personnification du destin de chacun, du lot qui lui échoit en ce monde […] Les Moires ne possèdent pas de légende proprement dite. Elles ne sont guère que la symbolisation d’une conception du monde mi-philosophique, mi-religieuse ». et, sinon les coupables, du moins les responsables de la mort des hommes, car ce sont elles qui coupent le fil de leur existence, au gré de leurs décrets aussi impérieux qu’arbitraires. Parallèlement, puisqu’elles sont justement les déesses qui décident du lot qui échoie à chacun, les Moires ne sont jamais bien loin des hommes à chacune des étapes climatériques qui scande leur existence, notamment à leur naissance.

Aucun texte ne côtoie ce seuil inéluctable de l’existence humaine plus que les épigrammes funéraires. Éloges posthumes, dernières consolations ou ultimes récriminations, ces poèmes qui ne voient le jour qu’à l’occasion de la mort d’un individu réservent une place privilégiée aux Moires. Quels rôles jouent ces déesses dans les épigrammes funéraires ? Sont-elles des figures tutélaires pour les défunts sur le chemin sans retour vers l’au-delà ? Ou sont-elles les responsables du trépas des mortels ? Notre parcours doit commencer par un panorama des représentations des Moires au cours du temps, celles d’Homère, d’Hésiode et de leurs successeurs. Nous verrons ensuite que les représentations des Moires dans les épigrammes funéraires sont tout aussi ambivalentes que celles héritées par le savoir littéraire partagé des Grecs et que les variations de leurs représentations sont liées essentiellement à l’âge et aux circonstances de la mort du défunt honoré dans l’épigramme funéraire.

Les différents visages des Moires dans la littérature grecque antique

Chez Homère, les Moires sont d’abord les divinités qui pourvoient les hommes des dons caractéristiques de toute leur espèce. Dans sa harangue pour convaincre les dieux de l’Olympe de faire cesser la folie d’Achille qui outrage la dépouille d’Hector, poussé par le deuil excessif qu’il mène pour Patrocle, Apollon signale cette fonction primordiale assumée par les Moires : « De fait, c’est un cœur endurant que les Moires ont mis chez les hommes4Homère, Iliade. Tomes IV, Chants XIX-XXIV, texte établi, traduit et commenté par Paul Mazon, Paris, Les Belles Lettres, 1938, dernier tirage 2018. XXIV, 49. Dorénavant abrégé en Il. Nous traduisons.  ».

Ce premier rôle qui incombe aux Moires est en parfait accord avec l’étymologie même de leur nom. En effet, le nom moira est issu de la racine indo-européenne *smer- qui signifie « partage, part, lot5Pour plus de détails concernant l’étymologie de moira, cf. Pierre Chantraine, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, Paris, Klincksieck, 1968, s. v. μείρομαι.  ». Dans l’extrait cité ci-dessus, les Moires invoquées par Apollon ne sont pas les divinités tutélaires d’un ou de plusieurs individus, mais les pourvoyeuses d’un don possédé par toute la race des hommes, en l’occurrence leur aptitude à soutenir avec dignité la perte d’un être cher. En revanche, les Moires, ou la Moire ont un rôle6Au singulier, « Moire » est le symbole de l’inéluctable, de la nécessité. Le pluriel « Moires » n’apparaît que dans la bouche d’Apollon. Au vers 197 du chant VII de l’Odyssée les Moires sont désignées, au pluriel, par le nom « les Fileuses ». Pour davantage d’éléments sur la représentation de la nécessité sous les traits de divinités féminines, cf. Bernard Clive Dietrich, Death, Fate and the Gods. The Development of a Religious Idea in Greek Popular Belief and in Home, University of London, Athlone Press, 1965. , ont un rôle qui ne concerne plus l’ensemble du genre humain lorsqu’elles sont l’incarnation même du destin propre à chaque mortel. Comme le remarque Karin Mackowiak : « Par la bouche d’Homère les personnages parlent toujours de “ la moira de quelqu’un”, de “leur moira” ou de “la moira des dieux”7Karin Mackowiak, « De moira aux Moirai, de l’épopée à la généalogie : approche historique et poétique de l’autorité de Zeus, maître du destin (IliadeOdysséeThéogonie) », Dialogues d’histoire ancienne, vol. 36, n° 1, 2010, p. 9-49.  ». Déplorant le sort de son défunt fils Hector, Hécube précise sinon le portrait de ces déesses, du moins leur modus operandi : « C’est là ce que la Moire impérieuse, pour lui, dès sa naissance, tissa de son fil8Il., XXIV, v. 209. Nous traduisons.  ». Si ni leur nombre ni leur nom ne sont déterminés, on peut d’ores et déjà entr’apercevoir dans l’épopée d’Homère la figure traditionnelle des Moires, déesses filandières qui déterminent le destin des hommes dès le berceau.  

La figure des déesses du destin se précise davantage dans la Théogonie d’Hésiode, où, pour la première fois dans la littérature grecque, les Moires sont au nombre de trois9Le nombre trois ne porte peut-être pas tant une représentation particulière des Moires qu’il ne révèle une tendance générale au sein de la conception mythologique grecque, où les trinités ne manquent pas. Que l’on songe, par exemple, aux Érinyes, parfois rapprochées des Moires par ailleurs.  et le nom de chacune d’entre elles est fixé : Clotho, Lachésis et Atropos. Le poème d’Hésiode fait aussi apparaître la complexité de la figure des Moires à travers deux généalogies différentes et radicalement opposées. La première de cesgénéalogies se trouve des vers 217 à 222 : 

Elle [la Nuit] enfanta les Moires et les Kères impitoyables, Clotho, Lachésis, Atropos, déesses qui accordent aux mortels, à leur naissance, leur lot de bonheur et de malheur, qui poursuivent les transgressions des hommes et des dieux ; jamais ces déesses n’interrompent le cours de leur terrible courroux, avant d’avoir châtié celui, quel qu’il soit, qui faute10Théog., v. 217-222. Nous traduisons. .

En tant que filles de la Nuit, les Moires – aux côtés des Kères, autres génies de la fatalité, souvent confondues avec les Érinyes – sont pleinement des déesses chthoniennes, divinités de la mort, les Kères étant par ailleurs les sœurs de Thanatos. En outre, le nom de chacune d’entre elles porte l’empreinte d’une représentation particulière du destin : Clotho, celle qui tisse, Lachésis, celle qui assigne à chacun son lot et enfin Atropos, l’inéluctable. Cependant, les Moires ne sont pas dans la Théogonie que ces divinités souterraines et ténébreuses chargées de définir le terme de l’existence des hommes. Du vers 901 au vers 906, les Moires sont à nouveau mentionnées par le poète d’Ascra :  

Il [Zeus] prit pour deuxième épouse l’éclatante Thémis, qui enfanta les Heures, la Discipline, la Justice et la Paix florissante qui veille sur les travaux des êtres mortels ; elle enfanta aussi les Moires, que le prudent Zeus combla des plus grands honneurs, Clotho, Lachésis et Atropos, qui accordent aux hommes mortels leur lot de bonheur et de malheur. 

Dans les deux passages cités, les déesses portent le même nom et assument la même fonction : attribuer à chacun sa part de bonheur et de malheur. En revanche, en faisant d’elles les filles de Zeus et de Thémis, incarnation de la justice et de la providence divine, Hésiode fait des Moires des divinités célestes. Comment comprendre cette transmutation des sœurs filandières ? Entre les deux généalogies, un changement de règne s’est opéré au sein du panthéon grec : le trône de Cronos a été renversé par son propre fils, Zeus. L’avènement de Zeus représente l’avènement du bon ordre cosmique, de la justice. La seconde généalogie des Moires entérine donc poétiquement la nouvelle justice cosmique. Les Moires ne peuvent plus n’être que des divinités souterraines, vengeresses, mais elles doivent aussi montrer par leur discernement leur contribution au bon ordre du monde. 

Chez les poètes postérieurs à Hésiode, nous voyons poindre une autre innovation : l’association des Moires à d’autres divinités et leur présence lors des étapes climatériques de l’existence humaine. Le poète Pindare, par exemple, associe aux Moires la déesse Ilithye qui assiste les femmes durant leurs accouchements, alors que dans la sixième Olympique il narre la naissance du devin Iamos, fils de la nymphe Évadné et du dieu Apollon. Ce dernier, alors qu’Évadné s’apprêtait à donner naissance à l’enfant, convoqua Ilithye, mais aussi les Moires : « À ses côtés, le dieu à la chevelure d’or plaça les bienveillantes déesses, Ilithye et les Moires11Pindare, Olympiques, texte établi, traduit et commenté par Aimé Puech, Les Belles Lettres, Paris, 1922, dernier tirage 2014. VI, 41-42. Nous traduisons.  ».

Les déesses, figures féminines et maternelles, sont convoquées pour veiller au bon déroulement de l’accouchement, mais également parce qu’ayant pour fonction d’assigner à chacun quels seront ses dons et quelle sera sa destinée, la présence des Moires auprès d’un nouveau-né paraît naturelle. Par ailleurs, dans le reste de l’œuvre de Pindare, nous constatons que les Moires sont les divinités tutélaires d’un grand nombre d’étapes importantes qui parcourent l’existence humaine, si bien que « si l’on considère l’ensemble des attestations des Moires dans les poèmes de Pindare, on les voit tantôt associées au mariage, tantôt à l’accomplissement des vœux formulés, tantôt à la naissance12Cf. Gabriella Pironti, Vincianne Pirenne-Delforge, « Les Moires entre la naissance et la mort : de la représentation au culte », dans Véronique Dasen, Martine Hennard Dutheil de la Rochère (dirs.), Des Fata aux fées. Regards croisés de l’Antiquité à nos jours, Lausanne, Études de lettres, 2011, p. 93-114.  ».

Ce bref panorama des diverses représentations des Moires dans la littérature grecque archaïque ne se prétend pas exhaustif, loin s’en faut, tant est riche la figure des déesses du destin. Cependant, cela nous permet de poser les jalons nécessaires, non seulement pour appréhender le remploi des représentations classiques des Moires dans les épigrammes funéraires grecques, mais encore pour discerner les innovations apportées par les épigrammatistes à la figure des Moires.

Les Moires dans les épigrammes funéraires. De déesses dispensatrices du sort à déesses prédatrices

Tout comme nous, les Grecs faisaient graver sur leurs monuments funéraires des inscriptions, d’abord en prose puis, dès le Ve siècle, et de plus en plus fréquemment, en vers, dont la portée encomiastique et la fonction mémorielle servaient à honorer les défunts. Ces inscriptions revêtaient aussi une dimension religieuse : lire une inscription et saluer le défunt dont elle honore la mémoire était pour un Grec un devoir de piété. Ainsi accordait-on un grand soin à la composition des inscriptions funéraires. La poésie funéraire grecque, qui emprunte très largement à la poésie d’Homère ou d’inspiration homérique sa langue et ses motifs littéraires13Sur l’inspiration homérique dans la poésie funéraire grecque, voir par exemple les remarques dans Georg Kaibel, Epigrammata Graeca ex lapidibus conlecta, Berlin, G. Reimer, 1878 ou encore les commentaires dans Bernand Étienne, Inscriptions métriques de l’Égypte gréco-romaine. Recherches sur la poésie épigrammatique des Grecs en Égypte, Besançon, Université de Franche-Comté, 1969.ainsi que Michaël Ledig, Les Grecs des confins. Langue, culture et mentalité à travers les épigrammes funéraires sur pierre du Ve siècle avant J.-Chr. au Ier siècle après J.-Chr. Thèse de doctorat consultable en ligne à l’adresse : https://hal.univ-lorraine.fr/tel-03255588/document. , a hérité, puis adapté, les représentations traditionnelles des Moires. Les déesses apparaissent tout d’abord comme les incarnations du terme inéluctable qu’est la mort pour des créatures mortelles. Dans nombre d’épigrammes funéraires le nom des déesses au singulier, comme chez Homère, est même le synonyme de « destin ». Ainsi dans une inscription de Pergame, dédiée à un anonyme tombé sur le champ de bataille et datant du Ier siècle avant notre ère, peut-on lire que : « Certes, à l’inéluctable destin imposé par la divinité, nul mortel n’échappe14Josef Stauber, Reinhold Merkelbach, Steinepigramme aus dem Griechischen Osten, vol. I, Leipzig, B. G. Teuber, 1998, 06/02/30. Nous utiliserons désormais l’abréviation SGOst pour désigner cet ouvrage. Nous traduisons tous les textes épigraphiques que nous citons.  ».

Dans la citation précédente, c’est le substantif « destin » qui traduit le grec « moira ». De même, lorsque les épigrammatistes évoquent la Moire ou les Moires en tant que personnification du destin, c’est le caractère implacable de leurs décrets qu’ils mettent en exergue. Dans une inscription provenant d’Antandros, cité située sur le littoral égéen de l’actuelle Turquie, au pied du mon Ida, et datant de l’époque hellénistique (IIe ou Ier siècle avant notre ère), le poète déplore l’inexorabilité de la mort : « Les malheurs auxquels la Moire s’est résolue sont impérieux » (SGOst, vol. I, 07/01/01). Les Moires apparaissent également sous les traits, traditionnels depuis la plus haute antiquité, de divinités fileuses. Ce sont elles et le fil qu’elles ont tissé pour chaque individu dès sa naissance qui déterminent le terme de l’existence humaine. Nous trouvons de multiples exemples qui illustrent la vivacité de cette représentation des Moires. Dans une inscription de Smyrne, l’actuelle Izmir, dédiée à un enfant de trois ans, le deuil que ses parents doivent endurer était inévitable, car il avait été filé par les Moires : « Le deuil pesant de sa vie, la Moire l’avait filé pour ses parents » (SGOst, vol. I, 05/01/58). Les Moires apparaissent aussi dans les épigrammes funéraires aux côtés d’autres divinités. Comme chez Pindare, les Moires sont parfois associées à la déesse Ilithye, qui préside aux accouchements, aux naissances. Cependant, dans les épigrammes funéraires, ce lien ne peut être établi qu’à la condition que le texte soit dédié à une femme morte en couche. À Smyrne, une épigramme honore Héraïs que : « La Moire, Ilithye et les douleurs de l’enfantement […] ont conduite chez Hadès » (SGOst, vol. I, 05/01/39)15On peut trouver d’autres exemples du même genre, ainsi, SGOst, vol. I, 03/07/18 accuse Ilithye, en même temps que les Moires, d’avoir « précipité » la défunte au moment où elle donnait la vie. .

Nous venons de voir que les épigrammatistes remobilisaient les représentations des Moires véhiculées par le savoir littéraire partagé des Grecs depuis les temps plus reculés. Cependant, la poésie funéraire semble apporter quelques nuances au portrait des Moires. Tout d’abord, comme nous pouvons le constater à travers les différents exemples d’épigrammes funéraires que nous avons donnés plus haut, quelle que soit la date, la provenance des textes ou encore l’identité du défunt à qui est dédiée l’épigramme, le nom des Moires apparaît le plus souvent au singulier, ce qui peut représenter une réminiscence d’Homère. Il nous semble cependant que l’emploi de ce singulier est bien plus qu’un simple écho de la littérature épique. Le singulier « moira » est utilisé par les épigrammatistes pour sa faculté à rehausser le caractère tout personnel du destin des défunts qu’ils honorent mais aussi à accentuer le caractère privé de l’épitaphe. Il s’agit de traiter d’une Moire, celle-là précisément qui touche un individu et ses proches. 

Nous trouvons également d’autres représentations originales des Moires dans les épigrammes funéraires dédiées à une catégorie particulière de défunts, ceux que les Grecs appelaient les aôroï16L’adjectif grec signifie littéralement « qui est hors de saison » d’où « trop prompt, trop tôt ». Anne-Marie Vérilhac, ΠΑΙΔΕΣ ΑΩΡΟΙ. Poésie funéraire, 2 tomes, Athènes, Grafeion Dimosieumaton tis Akadimias Athinon, 1978-1982, donne quelques critères pour déterminer si un défunt fait bien partie de la catégorie des aôroï : la mort doit être survenue avant l’éphébie, le texte doit comporter une indication de l’âge du défunt, l’emploi de mot désignant explicitement des enfants ou encore, sur la stèle, la présence de relief représentant un enfant. . Afin de donner une idée précise des innovations dans les représentations des Moires que présente ce type d’épigrammes, nous fonderons notre analyse sur une épitaphe précise. Voici le texte en question : 

Quand le soleil s’est couché dans la maison de l’océan, après dîner, je suis parti avec mon oncle me laver. Aussitôt les Moires me poussaient à m’asseoir sur le puits qui se trouvait là ; moi, je suis tombé et elle m’a emporté, la très méchante Moire. Aussitôt que la divinité m’a vu au fond, elle m’a livré à Charon. Alors mon oncle a entendu le bruit de ma chute dans le puits et aussitôt, parce qu’elle me cherchait — mais moi, je n’avais plus aucun espoir de vivre et de me mêler aux hommes — approchait en courant ma tante et elle déchire sa robe, accourait aussi ma mère et elle, elle se met à se frapper la poitrine. Aussitôt ma tante est tombée aux genoux d’Alexandre ; à cette vue, il n’a plus tergiversé et s’est jeté dans le puits aussitôt. Quand il m’a trouvé au fond, submergé, il m’a fait remonter dans une corbeille, aussitôt donc ma tante m’a arraché à lui, trempé que j’étais, pour examiner au plus vite s’il me restait une once de vie. Et c’est ainsi, malheureux que je suis, sans avoir vu la palestre, à trois ans seulement, que la Moire m’a caché, la méchante17Robert Demangel, Alfred Laumonier, « Fouilles de Notion », dans Bulletin de Correspondance Hellénique, vol. XLVII (1923), pp. 378-380, n. 8. Il s’agit de la première édition de l’épigramme, que nous traduisons. .

L’inscription est gravée sur une stèle de marbre grisâtre retrouvée à Notion, cité sise sur le littoral turc, à une cinquantaine de kilomètre au sud de l’actuelle ville d’Izmir, datable du Ier siècle de notre ère et dédiée à un enfant de trois ans mort noyé au fond d’un puits. Le texte est singulier à plus d’un titre. Tout d’abord, le récit est pris en charge par l’enfant défunt lui-même. S’il n’est pas rare de faire des défunts les locuteurs de leur propre épitaphe, l’auteur s’est, en outre, appliqué à imiter de la manière la plus fidèle l’élocution et le style d’un enfant en bas âge. Nous pouvons le remarquer à travers les nombreuses occurrences d’adverbes temporels « aussitôt », chacun d’entre eux scandant les étapes successives du récit, mais aussi par l’usage d’un vocabulaire enfantin, en particulier lorsque l’enfant qualifie la Moire de « très méchante » et, à la fin du texte, de « méchante18L’adjectif grec kakos et son superlatif kakistos ne sont que très rarement employés pour désigner les déesses du destin.   ». L’adjectif grec kakos et son superlatif kakistos, qui signifient respectivement « méchante » et « très méchante » ne sont que très rarement employés pour désigner les déesses du destin. En effet, dans les inscriptions funéraires, comme dans les poèmes homériques, c’est l’adjectif oloê, dont le sens premier est « funeste, pernicieux », qui désigne l’action destructrice du destin19Pour plus d’éléments concernant le sens et l’étymologie de cet adjectif, cf. Pierre Chantraine, Dictionnaire étymologique de la langue grecques. v. ὄλλυμι. , sans nuance axiologique, à la différence de kakos et son superlatif kakistos, qui semble être l’épithète privilégié20Dans les épopées d’Homère, on recense également quelques attestations de l’épithète krataiê, « impérieuse ; souveraine », par exemple dans Il. XVI, 853 ou encore XX, 477.  de moira. Chez Homère, le syntagme moir’ oloê est attesté à de nombreuses reprises, par exemple aux chants XVI, 849 et XXI, 83 de l’Iliade, mais également dans l’Odyssée21Homère, Odyssée, texte établi et traduit par Victor Bérard, Paris, Les Belles Lettres, 1924, dernier tirage 2018. , dans les chants III, 238, XIX, 145 ou encore XXIV, 135. Concernant les épigrammes funéraires, nous retrouvons ce groupe nominal dans une inscription de Chalcédoine (IIIe siècle avant notre ère)22Michaël Ledig, Les Grecs des confins. Langue, culture et mentalité à travers les épigrammes funéraires sur pierre du Vesiècle avant J.-Chr. au Ier siècle après J.-Chr., n. II-1.1.2., p. 173-174. , de Milet (Ier siècle avant notre ère, SGOst, vol. I, 01/20/37) ou encore à Cyzique (Ier siècle, SGOst, vol. II, 08/01/33). Par ailleurs, tout le texte semble bâti pour mettre en exergue le caractère néfaste des Moires et les accuser, personnellement et sans détour, de la mort du jeune enfant. Sous leur action, notre regard se trouve contraint de s’abaisser toujours plus bas, jusque dans les tréfonds de la terre, depuis la voûte céleste, qui s’enténèbre également puisque le soleil décline et plonge sous la surface l’océan, immersion qui reproduit de manière euphémique la mort par noyade du très jeune enfant au fond du puits. La résonance entre les données cosmiques et l’accident qui a provoqué la mort du jeune enfant constitue une analogie poétique de l’inéluctable chute du défunt.

Les Moires, dont les décrets sont aussi implacables que la succession des nuits et des jours23On peut songer ici au dernier vers de l’épigramme funéraire de Jean Valjean dans Les Misérables de Victor Hugo : la mort du personnage survient « comme la nuit se fait lorsque le jour s’en va ». Victor Hugo, Les Misérables, tome II, Paris, Livre de Poche, 1998. , sont tout d’abord au pluriel dans le texte. Elles orientent, invisiblement, insensiblement, le jeune garçon vers le puits fatal. En revanche, une fois que l’accident s’est produit, le pluriel se singularise et, en même temps que le destin devient personnel, la Moire se fait prédatrice : elle emporte l’enfant dans les ténèbres de l’Érèbe. Remarquons que la Moire opère ici sans aucun intermédiaire. Le fil grâce auquel elle tisse le destin des hommes n’est mentionné à aucun moment dans l’épigramme. Une fois les enfers atteints, la Moire confie sa proie au nocher infernal Charon. L’association entre les Moires et Charon n’est pas sans précédent dans la littérature grecque. Lucien de Samosate, dans son dialogue intitulé La traversée pour les enfers ou le tyran24Lucien, « La traversée pour les enfers ou le tyran », dans Lucien, Œuvres, tome 2, trad. Jacques Bompaire, Paris, Les Belles Lettres, 2021, § 5 : « Clotho. Tu as raison. Qu’ils embarquent ! Quant à moi, registre en main, assise près de l’échelle comme d’habitude, je vais contrôler chacun à l’embarquement : qui il est, d’où il vient, comment il est mort ». , chargeait l’une des Moires, Clotho, de l’embarquement des défunts dans la nef de Charon. Cependant, la dimension tragique de l’épigramme funéraire du jeune garçon s’oppose radicalement au caractère comique du dialogue de Lucien. À la fin du texte, le jeune enfant lance une dernière plainte : il meurt avant d’avoir connu la palestre. La palestre, c’est la fin de l’adolescence, l’éphébie, l’intégration pleine et entière de l’individu au sein de la société civile de sa cité. Parce qu’il a été privé de la palestre, le jeune enfant peut légitimement formuler un nouveau chef d’inculpation à l’encontre de la Moire qui n’a pas rempli son rôle de divinité tutélaire, accompagnatrice, préférant faire trop tôt sa proie de la vie du jeune enfant. 

La Moire prédatrice et assassine est la représentation la plus souvent attestée dans les épigrammes funéraires dédiées à des aôroï. L’absurdité du destin trop prompt de ces défunts justifie que l’on accuse ouvertement les Moires, qui en refusant d’accorder une existence achevée à ces défunts, se présentent sous leur seul rôle de déesses de la mort25C’est ce que remarque également Anne-Marie Vérilhac : op. cit., p. 173 : « Les divinités le plus souvent tenues pour responsables d’une disparition prématurée sont les Moires, maîtresses de la destinée de chacun, et surtout présentées dans les épigrammes comme déesses de la mort ». . En outre, accuser les Moires peut constituer une consolation poétique pour les proches de ces défunts. Si cette accusation des Moires est fréquente dans les épigrammes funéraires dédiées aux aôroï, on recense également des textes dans lesquels l’accusation contre les Moires n’est pas exprimée de manière aussi directe ni aussi catégorique, mais consiste en un subtil dévoiement des représentations traditionnelles des Moires. Par exemple, une épigramme provenant de Rhénée, île située dans la mer Égée, s’achève sur une surprenante invective aux Moires : « C’est à contresens, Moires, que vous avez tourné vos crochets recourbés, si des parents procèdent aux funérailles de leurs enfants26Werner Peek, Griechische Vers-InschriftenBand I, Grab-Epigramme, Berlin, Akademie Verlag, 1955, n° 1681, vers 7-8.  ». Plutôt que de récriminer contre la sauvagerie de Moires devenues prédatrices, on raille des Moires qui se mettent à filer à rebours, ce qui, par conséquent, pose les fondations d’un monde à l’envers, illogique, où les enfants précèdent leurs parents dans la mort.

Conclusion

La figure des Moires, ces anciennes déesses du destin, n’a cessé de s’enrichir. D’abord synonyme du destin, la « moira » s’est, dès Homère, incarnée en déesses fileuses, maîtresses du destin de chacun. Hésiode et les poètes postérieurs ont précisé leur statut : tantôt infernales, tantôt déesses célestes, les Moires concourent au bon ordre universel. Associées à d’autres divinités, les Moires deviennent des déesses tutélaires qui accompagnent les hommes à chacune des étapes importantes de leur existence. Ces représentations traditionnelles des Moires, les auteurs d’épigrammes funéraires les ont héritées et adaptées selon les circonstances de composition de leurs poèmes. Ainsi recense-t-on des épigrammes funéraires, notamment celles dédiées à des défunts morts prématurément, les aôroï, où la représentation des Moires présente des innovations par rapport à la tradition. Les épigrammatistes les dépeignent alors sous leur aspect le plus sombre, et, devenues des prédatrices, on les accuse de provoquer de leurs propres mains et injustement la mort, ou encore de filer à rebours le destin des hommes mortels, elles qui n’hésitent pas à précipiter dans la mort des enfants avant leurs parents, chamboulant ainsi l’ordre naturel des choses. Dans ces conditions, la figure des Moires représente non seulement tout ce que peuvent avoir d’incompréhensible et d’injuste les vicissitudes du destin lorsqu’il va à l’encontre du cours normal des choses, mais elle est aussi un motif littéraire de consolation, qui offre aux épigrammatistes des coupables à incriminer.

  • 1
    Hymnes orphiques, texte établi, traduit et commenté par Marie-Christine Fayant, Paris, Les Belles Lettres, 2017. 59, v. 17-18.
  • 2
    Hésiode, Théogonie, texte établi, traduit et commenté par Paul Mazon, Paris, Les Belles Lettres, 1928, dernier tirage 2014. Dorénavant abrégé en Théog. Hésiode consacre deux généalogies aux Moires : la première des vers 217 à 222, la seconde des vers 901 à 906. Pour un commentaire de ces deux généalogies, cf. infra.
  • 3
    On réduit souvent les Moires à cette seule fonction symbolique ; Pierre Grimal, Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, Paris, PUF, 2002, p. 300 ; « Les Moires sont la personnification du destin de chacun, du lot qui lui échoit en ce monde […] Les Moires ne possèdent pas de légende proprement dite. Elles ne sont guère que la symbolisation d’une conception du monde mi-philosophique, mi-religieuse ».
  • 4
    Homère, Iliade. Tomes IV, Chants XIX-XXIV, texte établi, traduit et commenté par Paul Mazon, Paris, Les Belles Lettres, 1938, dernier tirage 2018. XXIV, 49. Dorénavant abrégé en Il. Nous traduisons.
  • 5
    Pour plus de détails concernant l’étymologie de moira, cf. Pierre Chantraine, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, Paris, Klincksieck, 1968, s. v. μείρομαι.
  • 6
    Au singulier, « Moire » est le symbole de l’inéluctable, de la nécessité. Le pluriel « Moires » n’apparaît que dans la bouche d’Apollon. Au vers 197 du chant VII de l’Odyssée les Moires sont désignées, au pluriel, par le nom « les Fileuses ». Pour davantage d’éléments sur la représentation de la nécessité sous les traits de divinités féminines, cf. Bernard Clive Dietrich, Death, Fate and the Gods. The Development of a Religious Idea in Greek Popular Belief and in Home, University of London, Athlone Press, 1965. 
  • 7
    Karin Mackowiak, « De moira aux Moirai, de l’épopée à la généalogie : approche historique et poétique de l’autorité de Zeus, maître du destin (IliadeOdysséeThéogonie) », Dialogues d’histoire ancienne, vol. 36, n° 1, 2010, p. 9-49.
  • 8
    Il., XXIV, v. 209. Nous traduisons.
  • 9
    Le nombre trois ne porte peut-être pas tant une représentation particulière des Moires qu’il ne révèle une tendance générale au sein de la conception mythologique grecque, où les trinités ne manquent pas. Que l’on songe, par exemple, aux Érinyes, parfois rapprochées des Moires par ailleurs.
  • 10
    Théog., v. 217-222. Nous traduisons.
  • 11
    Pindare, Olympiques, texte établi, traduit et commenté par Aimé Puech, Les Belles Lettres, Paris, 1922, dernier tirage 2014. VI, 41-42. Nous traduisons.
  • 12
    Cf. Gabriella Pironti, Vincianne Pirenne-Delforge, « Les Moires entre la naissance et la mort : de la représentation au culte », dans Véronique Dasen, Martine Hennard Dutheil de la Rochère (dirs.), Des Fata aux fées. Regards croisés de l’Antiquité à nos jours, Lausanne, Études de lettres, 2011, p. 93-114.
  • 13
    Sur l’inspiration homérique dans la poésie funéraire grecque, voir par exemple les remarques dans Georg Kaibel, Epigrammata Graeca ex lapidibus conlecta, Berlin, G. Reimer, 1878 ou encore les commentaires dans Bernand Étienne, Inscriptions métriques de l’Égypte gréco-romaine. Recherches sur la poésie épigrammatique des Grecs en Égypte, Besançon, Université de Franche-Comté, 1969.ainsi que Michaël Ledig, Les Grecs des confins. Langue, culture et mentalité à travers les épigrammes funéraires sur pierre du Ve siècle avant J.-Chr. au Ier siècle après J.-Chr. Thèse de doctorat consultable en ligne à l’adresse : https://hal.univ-lorraine.fr/tel-03255588/document.
  • 14
    Josef Stauber, Reinhold Merkelbach, Steinepigramme aus dem Griechischen Osten, vol. I, Leipzig, B. G. Teuber, 1998, 06/02/30. Nous utiliserons désormais l’abréviation SGOst pour désigner cet ouvrage. Nous traduisons tous les textes épigraphiques que nous citons.
  • 15
    On peut trouver d’autres exemples du même genre, ainsi, SGOst, vol. I, 03/07/18 accuse Ilithye, en même temps que les Moires, d’avoir « précipité » la défunte au moment où elle donnait la vie.
  • 16
    L’adjectif grec signifie littéralement « qui est hors de saison » d’où « trop prompt, trop tôt ». Anne-Marie Vérilhac, ΠΑΙΔΕΣ ΑΩΡΟΙ. Poésie funéraire, 2 tomes, Athènes, Grafeion Dimosieumaton tis Akadimias Athinon, 1978-1982, donne quelques critères pour déterminer si un défunt fait bien partie de la catégorie des aôroï : la mort doit être survenue avant l’éphébie, le texte doit comporter une indication de l’âge du défunt, l’emploi de mot désignant explicitement des enfants ou encore, sur la stèle, la présence de relief représentant un enfant.
  • 17
    Robert Demangel, Alfred Laumonier, « Fouilles de Notion », dans Bulletin de Correspondance Hellénique, vol. XLVII (1923), pp. 378-380, n. 8. Il s’agit de la première édition de l’épigramme, que nous traduisons.
  • 18
    L’adjectif grec kakos et son superlatif kakistos ne sont que très rarement employés pour désigner les déesses du destin.
  • 19
    Pour plus d’éléments concernant le sens et l’étymologie de cet adjectif, cf. Pierre Chantraine, Dictionnaire étymologique de la langue grecques. v. ὄλλυμι.
  • 20
    Dans les épopées d’Homère, on recense également quelques attestations de l’épithète krataiê, « impérieuse ; souveraine », par exemple dans Il. XVI, 853 ou encore XX, 477.
  • 21
    Homère, Odyssée, texte établi et traduit par Victor Bérard, Paris, Les Belles Lettres, 1924, dernier tirage 2018.
  • 22
    Michaël Ledig, Les Grecs des confins. Langue, culture et mentalité à travers les épigrammes funéraires sur pierre du Vesiècle avant J.-Chr. au Ier siècle après J.-Chr., n. II-1.1.2., p. 173-174.
  • 23
    On peut songer ici au dernier vers de l’épigramme funéraire de Jean Valjean dans Les Misérables de Victor Hugo : la mort du personnage survient « comme la nuit se fait lorsque le jour s’en va ». Victor Hugo, Les Misérables, tome II, Paris, Livre de Poche, 1998. 
  • 24
    Lucien, « La traversée pour les enfers ou le tyran », dans Lucien, Œuvres, tome 2, trad. Jacques Bompaire, Paris, Les Belles Lettres, 2021, § 5 : « Clotho. Tu as raison. Qu’ils embarquent ! Quant à moi, registre en main, assise près de l’échelle comme d’habitude, je vais contrôler chacun à l’embarquement : qui il est, d’où il vient, comment il est mort ».
  • 25
    C’est ce que remarque également Anne-Marie Vérilhac : op. cit., p. 173 : « Les divinités le plus souvent tenues pour responsables d’une disparition prématurée sont les Moires, maîtresses de la destinée de chacun, et surtout présentées dans les épigrammes comme déesses de la mort ».
  • 26
    Werner Peek, Griechische Vers-InschriftenBand I, Grab-Epigramme, Berlin, Akademie Verlag, 1955, n° 1681, vers 7-8.