Autour de l’image noire
Younes Belouchi porte un nom qu’il ne sait pas prononcer. De ce fait, il a étudié la philosophie comme la littérature. Il se retrouve aujourd’hui et un peu hasardeusement au sein de ceux qu’on appelle les étudiant.es supérieur.es. Ne trouvant pas de réponse à la question de sa naissance, il se plaît encore à dire aux autres et à lui-même que Younes Belouchi est – ça va de soi, un nom comme ça – un pseudonyme.
Mes vêtements me conviennent, j’ai le don du très peu.
HUGUETTE CHAMPROUX
Le matin chaque fois une seule fois je me circoncis Je me coupe Je me suce J’avale ce que tu dis avoir avalé
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Maman le vin de mon sexe coule de mes lèvres là sur mes pieds
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Je pense rapidement à Miranda July À celle-là et à son ceci de film à cet échange entre l’horreur et le rire Je pense au rire I’ll poop in your butt hole and then you will poop it back into my butt hole and we will keep doing it back and forth with the same poop Forever
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Je nous vois dans son croquis de fesse dans la nativité d’un désir
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Me dire qu’à leurs trous il y a nos bouches et qu’à leur merde ma chair Qu’importe Me dire Tout le monde nous dévisage Tous ceux qu’on connaît toi et moi Toujours Pour toujours
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Je dis me dire Entends faire dire Entends Jacques me dit Entends Me met ça dans la tête Toi qui me demandes souvent deux fois qui me met ça dans la tête ô qui me met ça dans la tête Je ne sais pas (mais je sais que c’est toujours lui) Lui qui veut que tu tiennes et tires étires et séparesce que jadis j’avais de peau sur mon sexe Lui qui veut que dans ta bouche Et lui qui veut qu’au dessus de moi ou que me regardant tu me laisses là espermer en cette étrange condition
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Maman il est question de mon sperme Très noir et très bas dans mon ventre Chose pâte qui me mène impunément à la dérive Chose tache dont je suis gros De la boue Maman tache pâte boue Je te le dis Jamais vu blanc sur mes cuisses ni sur les tiennes d’ailleurs ni sur celles de personne Fermement rose de nos lèvres là sur nos pieds
Je suis probablement un homme mauvais
FRANCK VENAILLE
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Seul mon sang nous unit Socialement Économiquement Philosophiquement
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À chaque matin seul matin je te dis je me coupe par soif par compassion Je me soucie me triturant de ce qui nous lie Maman ma chair mon sang Maman ma plaie tout ouverte
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En larmes j’entends mon cœur palpiter dans mon gland trop nu et très propre Là mon secret là mon amour plus fort que mes souffrances limitées là ton goût immodéré pour ma chair à moi fraiche
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Là l’alliance là l’agneau doux l’obéissant que tu avales
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Et tu viens auprès de moi t’étends même dans mon lit À l’instant tu me dis Tu vois il n’y a rien Je te regarde l’âme en tempête et te dis Oui
comme si l’intériorité d’aimer était la conscience d’un malheur plus difficile que le malheur
MATHIEU BÉNÉZET
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Alors je suce le grain de l’os suce l’enfant le bègue Alors je me fourre dans l’eau de ton bain J’y laisse couler tout ce que je tiens en cœur L’eau est basse crasse Et l’eau est rose Il faudrait m’essuyer Ne sais pas Renfiler mon caleçon Il faudrait me couvrir Maman couvrir le trou recoudre ma face Il faudrait un bout de pomme je ne sais pas une chaise il faudrait mourir sucer oublier les jeux obscènes et les bulles et les bougies J’ai envie envie de manger une orange Il faudrait t’attendre je t’attends dans le vaste et sauter je vais sauter
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Grand dégoût et parallèlement désir de flotter
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On me rappelle une sainte à qui manger ne disait rien Quasi fumerole je veux dire anorexique divine je veux dire elfe peut-être et abreuvée de sang Âme fissible rendue abouchée à ses blessures Je nous vois un peu comme ça toi et moi comme cette sainte bêler dans nos paumes brailler l’effondrement rire les yeux ouverts particulièrement fous
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À chaque matin seul matin je me suce Tu m’as fait don d’une langue qui quand j’ouvre la bouche sort humide nue humide frétillante Elle me retourne Avec je me suce me tète jusqu’au silence jusqu’aux alarmes infimes Autrement allié De moi vers moi Maman vautour
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Tu te souviens quand je me jetais hystérique contre les murs de ta maison quand je me fracassais le crâne sur les barreaux du lit quand fétichiste je voyais dans mon pouce ton sein et tétais suçotais mordillais lapais le lait et la crasse prise dans l’espace d’une crevasse dans la peau
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Tu te souviens de mon corps claque et de ma tête jouet d’enfant
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Tu te souviens du jour où tu avalais mon prépuce
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Nous souvenons nous du fleuve de la jouissance qui arrachait la mémoire à la mémoire
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À chaque matin la même déchirure respire dedans l’amour que je te porte et nous repousse tous les deux au dehors des commencements
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Là je pense à Unica Zürn à l’obscurcissement Je pense ténèbres serrées Là je t’aimerais garante de la présence du présent Je pense à ce qui reste d’Anne Lise Large à ces vides dans la capture et aux pierres prises de cendres ô les riens qui coulent à flots Je pense à qui me met ça dans la tête Au moins deux fois je pense ô Je pense et dit que passions tendresses et sangs sont des embuches Je pense jeunesse et l’inconnu toujours dans la question d’aimer Je pense être malade être mauvais probablement Je pense étrange sang encore Je pense à me pisser dessus (Je pense que nous nous souvenons) Je pense aux nuits à brûler et aux eaux d’en bas qui vibrent Je pense à Miles Je pense silence manières phono Je pense neige Je pense vent Je pense rapidement que rien de tout ça n’est visible que vieillir ne sert pas que le cœur est de pierre et poésie c’est pourrir poésie c’est une haine Je pense Saigne ! Et je me coupe Je me suce Chaque matin Qui me met ça dans la tête Ô
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À l’aube la plus matinale avant que Blessure ne s’ouvre nous accusons communément l’existence d’inexister Nous tournons tournoyons toi mâchant ma chair moi suçant ma plaie La rotondité est une moitié du sens qui nous accable
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Dans l’athéisme le plus désespéré Que je ne me suce pas Que je ne me coupe pas Que je sois d’avance coupé Que parfois je saigne Que Maman ni Maison n’ont d’importance que dans le rêve et le rêve que dans l’oubli du rêve Que pourrir m’arrive Que je sois seul et sans dire Que je sois dans l’excès Que désastre Que j’abuse Que cache-cache je dévoile Le comble Je tremble La vie Cet événement si léger que je ne sais ni qui je suis ni où je suis
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Tant de menaces sont là tapies dans le noir
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Râle Qui suis-je si Râle Je ne suis pas ce que j’habite Que ça dure Et où j’ai lieu
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Mais quoi je me convaincs Que j’ose aimer Quoi que je nous dise conciliable dans l’amuïssement Quoique à nous deux nous perdons nos corps vivants Que je te demande Est ce une faute de mourir Que du regard du regard surtout Quoi Toi Qui Nom qui me manques
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Sans ciller j’aurais voulu que tu comprennes Qu’il y a longtemps déjà je me suis abandonné comme souvent on fait nos adieux comme on dit dernière fois Je ne me reviens jamais Je me retourne plus tôt et tout pourrit derrière moi
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Si ma mémoire est exacte il n’y a jamais eu de première scène mais franchement je ne sais pas Il n’y a jamais eu de circoncision qu’une cicatrice partielle jamais de sang que du noir que du sperme pâte boue Je ne pense pas écrire je pense vouloir voir comment tout ça va finir La dérive La maladie de moi Je me fous commencements Je me fous finitude Blessure Je sais Je saigne Et Tu mâches Voilà tout
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Rien ne change de place Tout reste Je m’arrange La joie Oui La joie La providence